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cependant s’étaient empressés de passer par le Taurobole[1], avant qu’on ne le leur demandât. À présent, disgraciés sans retour, ils sont devenus plus fervents chrétiens que jamais, et font une guerre timide et honteuse au prince qui purgea Constantinople des espions et des dénonciateurs dont ils faisaient partie. Les coureurs de rues désœuvrés et gorgés de vin étaient au plus fort de leurs chansons sur la barbe de Julien, lorsque les trompettes ont résonné aux portes de la ville. Les chemins se sont vidés à l’instant. Toute la foule s’est jetée dans les maisons et s’est mise à charger les toits et les terrasses, pour voir passer une des cohortes de l’armée qui va entrer en Perse dans quelques jours et qui traversait Antioche en silence. Je n’avais jamais vu ces vieux légionnaires qui ont fait Auguste malgré lui le jeune César. J’ai compris l’étonnement que leur vue a causé à ces Syriens qui sont vêtus de soie, parfumés et épilés comme des femmes, que les Huns et les Isaures auraient déjà faits esclaves sans cet empereur qu’ils maudissent, et qui iront bientôt, après lui, tourner des meules de moulins chez les Barbares qui leur crèveront les yeux.

La cohorte qui passait était celle des hoplites. Ces hommes dont le front est chauve marchaient la tête nue, portant leur casque suspendu au col. Leurs crânes jaunâtres et cicatrisés reluisaient comme la cime de ces vieux rochers que baigne la mer. Ils marchaient aussi légèrement que les jeunes lutteurs quand ils sont nus et huilés pour la course.

Ruben de Theman me fit remarquer que celui qui tenait l’aigle, vieux centurion à cheveux blancs, portait au cou, près de son casque, le collier d’or que les légions romaines attachèrent de force au front du César de vingt-trois ans, lorsqu’ils le firent Auguste à Lutecia, qui est une petite ville de l’Occident, dans les Gaules. Ils estiment cet ornement d’un grand prix, mais il ne me paraît pas valoir plus de soixante mines, et je rapporte deux colliers qui ne m’ont coûté qu’un talent et qui eussent été plus dignes de couronner un empereur. Mais chez les Barbares de la Gaule on fut trop heureux de trouver ce collier à substituer au diadème. Je vis aussi que tous les soldats qui avaient été chrétiens sous Constance et qui

  1. Le Taurobole était le sacrifice expiatoire des anciens.