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les formes de ses moulures et de ses colonnes ; un tapis épais et des rideaux de couleur brune. Nulle glace, nul ornement, nulle image, hors une seule placée au-dessus du lit.

Là vieillissait dans une poussière toujours amassée et respectée un grand christ dont bien des religieux avaient sans doute baisé les pieds en mourant. La stature était presque à demi la stature humaine, la croix d’ébène qui le portait était fendue en maint endroit, l’éponge et la lance étaient brisées, comme les ornements d’un meuble inutile. Le cadavre d’ivoire était jaune, et sa tête abattue avait perdu jusqu’à sa couronne d’épines, sa douloureuse couronne dont les mille pointes n’étaient pourtant pas tournées contre le ciel comme celles des rois, mais enfoncées dans son front saignant et ses cheveux pendants, aplatis et déchirés. Ses mains clouées étaient bleues, ses pieds noirs étaient fendus, et l’un d’eux tombait en poudre. Une décrépitude effroyable sillonnait par des veines longues et sombres le corps suspendu de l’Expiateur. La plaie de son côté s’était largement agrandie et découvrait une place sans cœur et sans entrailles. Une destruction livide régnait sur le christ tout entier. La tête bleuâtre, abattue et sans auréole, était comme cachée et reployée sous le bras droit du crucifix, les traits en étaient morts, une grosse larme seulement luisait sur le bord de la paupière fermée et se prolongeait sur la joue.

L’enthousiaste Stello ne put détourner les yeux de cette image désolée. Malgré lui, ce fut l’homme qu’il vit ; pour un moment, il oublia le Dieu. Il vit l’homme de trente-trois ans sacrifié par la multitude des hommes pour avoir cru en elle, l’avoir aimée et lui avoir parlé de s’aimer, l’homme sauveur et médiateur des hommes, le grand-prêtre éternel des peuples écrasé par eux ; et il la considérait avec une douleur muette.

Mais en même temps le noir Docteur, soulevant un rideau opposé tendu dans la chambre, découvrit et lui montra silencieusement une statue inconnue, qui sembla, dès qu’elle fut à la lumière, considérer le Christ et lui parler.

C’était un jeune empereur sans couronne. Il était mourant, mais il avait voulu mourir debout. Sa tête était belle, son grand front avait des veines gonflées et des nerfs irrités de mille pensées fortes ; ce front paraissait un globe sillonné de fleuves majestueux : ses yeux étaient levés au ciel comme par