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DAPHNÉ


I

la foule


C’était un soir de fête. Le peuple de Paris marchait avec tristesse sur les places publiques et le long des rues. Les familles se tenant par la main allaient en avant, sans savoir où elles allaient, et passaient sans s’arrêter, en regardant devant elles. Les hommes étaient ennuyés, les femmes fatiguées, les enfants tout en pleurs. Des lampions sinistres s’éteignaient sous une large pluie et répandaient une fumée noire au lieu d’une flamme livide. Les murs étaient teints de lueurs pareilles à celles d’un incendie qui s’apaise. La voûte du ciel était violette et comme irritée.

La foule glissait sur un pavé tout humide. Les têtes noires se touchaient et n’avançaient qu’avec un mouvement insensible. Le murmure des voix était sourd et inarticulé comme un long gémissement. Chacun paraissait chercher et demander quel désir l’avait amené, et vers quel plaisir. Aucun n’était satisfait, aucun n’entrevoyait même ce qui lui pourrait plaire. Tous s’en allaient l’œil vague et la bouche béante ; tous incapables de s’arrêter dans leur route perpétuelle qui ne menait à rien.