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Il est inutile d’insister sur le profond intérêt historique que présente cette biographie morale de Julien. Derrière le jeune empereur, comme une toile de fond, le tableau de l’empire, déchiré à l’intérieur par la guerre religieuse, inquiété à l’extérieur par les premières hordes barbares, n’est qu’indiqué, mais par la main d’un maître. Vigny, un des rares écrivains qui ont vraiment pensé au xixe siècle, esprit à la fois vaste et aigu, génie intelligent, si on peut risquer cette alliance de mots qui n’est pas un pléonasme, a profondément compris et exprimé ce que cette heure crépusculaire du monde eut de pathétique et de grandiose.

Nous n’avons pas ici à examiner si son Julien est celui de l’histoire ; mais il semble bien que Vigny ait devancé les conclusions des historiens les plus récents, résumées par Gaston Boissier dans la Fin du Paganisme. Ce dernier montre que Julien n’était pas un libre penseur, comme on se l’imagine généralement, mais au contraire un païen mystique. Or, le Julien de Vigny, s’il ne croit pas aux dieux de l’Olympe, ainsi que le lui dit hardiment Libanius, n’est pas pour cela un incroyant. Il adore le Soleil-Roi. C’est un adepte de la théurgie qui sacrifie à Jupiter par politique. En tout cas ce Julien est fort vraisemblable ; il « se tient » admirablement, il est dressé en pied, il vit.

Mais l’intérêt historique, si grand soit-il, n’est pourtant pas l’intérêt principal de Daphné ; l’intérêt philosophique en est plus puissant encore. Car Daphné, en narrant l’aventure symbolique de Julien l’apostat, traite le problème qui au point de vue pratique domine toute la philosophie : celui de la morale. L’arrière-fonds de la pensée de Vigny dans Daphné tient en cette phrase de Libanius : « … il est une force plus jeune et plus grande qui consiste à comprendre la divinité, l’immortalité de l’âme, la vertu et la beauté sans le secours grossier des symboles » : il veut dire ici des dogmes religieux considérés comme des symboles de ces idées universelles. C’est la morale stoïque qu’il rêverait de voir régner sur le monde. Ce qu’il voudrait, c’est ce que formulait une note du Journal que nous