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la nation, nous croyons que Daphné, selon sa propre expression, va susciter un nouveau « flot d’amis » pour cette œuvre entière. Car ce livre du grand poète, en même temps qu’il ajoute quelques très belles pages à celles que nous connaissons de lui, fait apparaître encore et invite à constater de nouveau combien sa pensée si tranquillement hardie fut profonde et même prophétique.



Où vient se placer Daphné, en cette œuvre d’Alfred de Vigny ?

On se rappelle que dans Stello, paru en 1832, Vigny mettait aux prises pour discuter de morale et de philosophie deux interlocuteurs, Stello et le Docteur Noir, qu’on pourrait appeler, d’un mot fameux de Renan, les deux lobes de son cerveau, et qui représentent l’un l’enthousiasme, l’autre la critique, l’un le sentiment, l’autre le raisonnement. Stello porte en exergue : Les Consultations du Docteur Noir, Première Consultation.

D’autre part, dans le Journal d’un Poète, Vigny note le projet d’une troisième Consultation, consacrée aux hommes politiques, et d’une quatrième, consacrée à l’idée de l’amour. Il manquait donc jusqu’à présent la deuxième consultation du Docteur Noir.

Cette deuxième consultation du Docteur Noir, c’est Daphné[1].

Daphné est en effet la suite directe de Stello : les deux interlocuteurs de Stello sont les deux interlocuteurs de Daphné ; des allusions à la conclusion de Stello sont faites dès les premières pages de Daphné, comme pour relier le commencement d’un livre à la fin de l’autre ; enfin les deux livres sont composés de la même façon : dans Daphné, comme dans Stello, au cours d’une conversation entre Stello et le Docteur

  1. À vrai dire, avant même d’avoir terminé Stello, Vigny avait fait d’abord le plan d’une deuxième consultation relative au suicide. Mais le poète, nous dit une note du Journal, avait renoncé à cette consultation où l’on eût pu voir une sorte de justification du suicide.