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que cette œuvre était un roman dont Daphné serait l’héroïne. Il faisait erreur : on verra que Daphné n’était pas le nom d’une femme. Et cette erreur, répétée par les commentateurs de Vigny, viciait fatalement leurs interprétations anticipées.

Daphné demeurait donc toujours aussi mystérieuse. C’est cette œuvre que nous publions aujourd’hui.

Elle est entièrement inédite.

Différentes causes en ont retardé jusqu’à ce jour l’apparition. Le gendre et exécuteur testamentaire de Louis Ratisbonne, M. Étienne Tréfeu, après avoir donné ses soins à l’édition définitive d’Alfred de Vigny, a estimé que le moment était venu de révéler la dernière œuvre demeurée inconnue du grand poète, et il nous a fait l’honneur de nous confier le soin de l’éditer. Nous tenons à le remercier ici de nous avoir choisi pour cette belle tâche.

Déjà Louis Ratisbonne, voici longtemps, avait eu l’intention de faire paraître Daphné. Le manuscrit lui paraissant à bon droit trop précieux pour être livré à l’impression, il avait prié M. Tréfeu d’en prendre copie, ce que ce dernier avait fait avec toute l’attention scrupuleuse que méritait cette délicate mission. Depuis lors, le manuscrit, par suite de diverses circonstances, s’est trouvé divisé ; et nous savons qu’une grande partie des feuillets originaux a été recueillie pieusement par notre confrère M. Pierre Dauze, le publiciste et bibliophile bien connu.

Mais la copie du manuscrit autographe avait été faite par M. Tréfeu dans des conditions qui lui permettent de nous en garantir l’authenticité absolue. Et, d’autre part, il avait pu conserver par devers lui une partie du manuscrit original. Nous avons établi notre texte sur la copie de M. Tréfeu et sur la partie du manuscrit de Vigny restée en sa possession.

À notre tour, nous avons tenu dans nos mains, de longues heures, de longs jours, ces feuillets déjà vénérables, vieux de plus de soixante-dix ans, et pourtant admirablement conservés, à peine jaunis seulement par l’âge, tout empreints encore de vie, parfois même pleins de ce désordre sacré qu’engendre l’inspiration ou le travail, tachés, barrés, raturés, tels enfin que Vigny pouvait les revoir au cours de ses longues veilles, lorsque dans « ce calme adoré des heures noires » que célèbre