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rieur, d’un recueillement qui précède et prépare le décisif élan.

André Gide n’a pas dit tout ce qu’il avait à dire. Il a le sentiment de commencer seulement, et l’on insiste sur les surprises qu’il réserve. En serait-ce donc une de trouver dans la dernière partie de ses écrits une toute naturelle explication de la première et de constater qu’un esprit qui ne déteste de la logique que ses « lourdes chaînes », s’est développé avec conséquence, qu’une inspiration qui paraissait céder à d’imprévisibles sollicitations s’est orientée suivant une nécessité profonde ? N’anticipons pas. Avouons que pour dessiner d’André Gide une figure passable, il faut attendre. Pourtant le chatoyant manteau dans lequel il s’enveloppait retombant pli à pli, n’est-il pas tentant d’étudier l’ordonnance des lignes et, si difficile à pratiquer que soit la saisie, de se représenter sous le vêtement qui flotte un corps qui marche, sous l’œuvre ondoyante, l’homme qui se tient ferme à lui-même ?

« Les extrêmes me touchent » — ce mot en épigraphe aux Morceaux Choisis caractérise une nature où se rencontrent des exigences opposées. Celles de l’hérédité d’abord. Produit de croisement, lui-même y insiste, ayant dans les veines à la fois du sang méridional et du sang normand, Gide, au contraire de « ceux que pousse dans un seul sens l’élan de leur hérédité », se trouvait destiné à vivre en perpétuel état de dialogue, à écouter dès l’origine les voix du Nord et les voix du Midi qui alternaient, se répondaient, se contrariaient aussi. Et une éducation puritaine, excitant en lui les ardeurs natives en même temps qu’elle multipliait autour de lui les contraintes, ajoutait à sa richesse intérieure. Si comme il l’a dit le génie est le sentiment de la ressource, la définition s’applique à lui. Dans les aspirations extrêmes entre lesquelles il était partagé il a reconnu des forces dont le jeu s’entretient par de judicieuses contrepesées. Sachant n’être pas l’homme d’un climat intellectuel, il a sans trêve changé de lieu, de milieu ; comme ces poissons à qui il faut pour vivre tantôt les courants glacés.