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n’était pas seul. Près de lui, devant un petit pupitre fixé à la muraille, se tenait, casque en tête, un agent de police, dont la main gantée était posée sur un papier barbouillé d’inscriptions placé sur le pupitre. Il regardait Tonio Kröger avec une honnête figure de soldat, comme s’il s’attendait à ce que celui-ci rentrât sous terre à sa vue. Tonio Kröger les considéra alternativement et prit le parti d’attendre.

— Vous venez de Munich ? demanda à la fin l’agent de police, avec une bonne voix lourde.

Tonio Kröger fit signe que oui.

— Vous allez à Copenhague ?

— Oui, je me rends dans une station de bains de mer, en Danemark.

— Une station de bains de mer ? Bon, veuillez produire vos papiers, dit l’agent, en prononçant le mot « produire » avec une satisfaction particulière.

Des papiers… il n’avait pas de papiers. Il sortit son portefeuille et regarda dedans ; mais à part quelques notes acquittées, il ne s’y trouvait rien que les épreuves d’une nouvelle, qu’il pensait corriger une fois arrivé au but de son voyage. Il n’aimait pas avoir affaire à des fonctionnaires, et ne s’était encore jamais fait délivrer de passeport.

— Je regrette, dit-il, mais je n’ai aucun papier sur moi.

— Ah ! dit l’agent de police, aucun ? Comment vous appelez-vous ?

Tonio Kröger se nomma.

— Est-ce bien vrai ? demanda l’agent de police ; et il se tendit en avant, et écarquilla soudain ses narines aussi largement qu’il put…

— Parfaitement vrai, répondit Tonio Kröger.

— Qu’êtes-vous donc ?

Tonio Kröger avala quelque chose qui l’étranglait et indiqua d’une voix ferme sa profession. M. Seehaase leva la tête et le dévisagea curieusement.

— Hm ! dit l’agent. Et vous déclarez n’avoir rien de commun avec un individu du nom de — il épela sur le papier barbouillé d’inscriptions un nom bizarre et romantique, qui semblait un composé aventureux de sons pro-