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Ce grand effort de Colomba semble l’avoir épuisé ; ensuite, en cinq années, il n’écrira plus que trois contes — dont Carmen, il est vrai — puis c’en sera fait de l’auteur ; il ne tirera de sa plume que d’ennuyeuses études historiques, de froids rapports académiques, quelques excellentes traductions. A quarante-trois ans, il a tari sa veine qui semblait, au début, facile et abondante. Il est vrai qu’il est inspecteur des monuments historiques, qu’il est des Inscriptions et Belles-Lettres, et de l’Académie Française ; on pourrait croire qu’il ne s’est fait auteur que pour cette immortalité provisoire ; mais Mérimée était de ces esprits qui ne souhaitent les honneurs que pour en toucher de plus près la vanité. Le vrai est que sa jeunesse n’avait été qu’un feu de paille, et que la dernière étincelle s’en était éteinte avant l’âge. Tout ce que la jeunesse avait mis en lui de vif, de railleur et de fin s’en ira se refroidissant avec une promptitude extrême. Perdant la plupart de ses goûts, il ne lui restera plus que son naturel ; son naturel était pour l’ordre et ses goûts pour les libertés. Elevé dans la ponctualité et les fermes règles bourgeoises, il ressent pour qui les méprise une affection irrésistible ; l’aventurier, le paria, les « gitanos », les « banditti », sont les héros chers à son cœur. Il a commencé par un Cromwell, dès ses vingt ans, avant Victor Hugo : le sujet était dans l’air littéraire, Balzac aussi a débuté par là. On peut encore rendre le romantisme responsable d’un tel choix ; mais, plus tard, ce n’est ni romantisme ni simple hasard s’il s’en va choisir, pour les peindre, les voleurs et les gitanes d’Espagne, don Juan et Henri de Guise, les bandits corses ou don Quichotte, Catilina ou les faux Démétrius, tous ceux qui rompent en visière avec les lois et le pouvoir, pour le bon ou le mauvais motif, ou simplement pour le plaisir. De même, on l’a vu, plus près de nous, bien accueillir le Coup d’Etat, et ne désapprouver Napoléon III qu’au temps de l’Empire libéral.

Au fond, se sachant peu de force et peu porté à la violence, il aime à voir, en pensée, la force et la violence chez