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éprouver, prétendre de grands sentiments, de déchaînés et de sauvages, en dépit de son souffle court et de sa maigre poitrine. Il semble ne s’y être essayé que pour prouver combien le jeu en est facile ; et, suivant son penchant le plus vrai, s’il touche aux grands sentiments, ce n’est pas pour les boursoufler, mais, tout au contraire, pour en dénuder l’os.

Il est du dix-huitième siècle en cela, non de celui qu’on nous a fait selon Rousseau et ses neveux, mais bien plutôt du roi Voltaire. Je le vois venir de Montesquieu en droite ligne par Choderlos de Laclos, sans avoir la grande allure de l’un, la vive inquisition de l’autre. Il tient, de ces esprits au doute toujours préparés et qui disciplinent leur cœur, la balance de sa pensée et ce constant dessein d’être vrai avant tout qu’on ne voit guère à un autre écrivain de son temps, si ce n’est au Vigny de Servitude et grandeur militaires, et au Stendhal de la Chartreuse.

Jamais il ne donne dans la volupté qu’éprouve son époque d’étaler ses déboires et de se raconter sans tri Cacher son cœur ne suffit pas. il va jusqu’à dissimuler son nom, et quand il semble céder au goût que montre pour le théâtre tout le Cénacle, il le fait sous le couvert d’une comédienne espagnole, imaginaire et vraisemblable, dont il prétend traduire les œuvres, sans se soucier de les voir porter à la scène.

A vrai dire, le Théâtre de Clara Gazul peut passer pour un tour de force de la part d’un jeune homme de vingt-deux ans, en 1825 ; il faut, bien avouer qu’aujourd’hui il n’offre qu’un médiocre intérêt, à l’exception de ces deux pièces qui ne parurent que cinq ans plus tard, l’Occasion et le Carrosse du Saint-Sacrement. Ni les deux parties d’Ines Mendo, ni l’Amour Africain, ni Une Femme est un diable, ne valent qu’on les relise : pourtant, si médiocres qu’elles nous apparaissent maintenant, du moins ne s’y lamente-t-on pas à l’extrême, n’y éclate-t-on pas en sanglots au moindre prétexte. Pour le reste, c’est le même genre de fables auquel se plaisait l’époque, et si la mesure qui s’y montre ne leur a pas communique de l’intérêt, elle les garde encore aujourd’hui d’être simplement ridicules comme tant de drames du même temps. Et même,