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qui avait été le terme du voyage des deux aînées. Une toute petite fille était assise sur le bord, pleurant à chaudes larmes.

Aussitôt la bonne Isabelle s’arrêta pour lui demander la cause de son chagrin, et l’enfant ayant répondu que son agneau était tombé dans le doué voisin, où bien sûr il allait se noyer, elle appela son domestique et tous deux retirèrent de l’eau la pauvre bête qu’ils réussirent à ranimer. Puis la jeune fille se remit en selle tandis que la petite bergère ne cessait de lui répéter : — Dieu vous bénira, mon beau seigneur, et vous fera réussir dans toutes vos entreprises.

— Que le ciel t’entende, mon enfant, répondit Isabelle heureuse d’un souhait qui lui semblait de bon augure ; et elle s’éloigna rapidement pour rattraper le temps perdu.

Les voyageurs arrivèrent enfin à la ville où résidait le roi. Le marquis de Chapolorys avait remis à sa fille quelques lettres adressées à d’anciens amis auxquels il recommandait son fils « le chevalier Robert », qui venait à la cour pour la première fois et aurait sans doute besoin de leur appui.

Hélas ! plusieurs des amis du marquis étaient morts, d’autres avaient pris parti pour ses ennemis et s’étaient enrichis de ses dépouilles, d’autres enfin avaient quitté la cour. Isabelle commençait à désespérer quand sa bonne étoile lui fit rencontrer un vieux duc, veuf et sans enfants, qui vivait fort retiré avec sa sœur, une respectable chanoinesse encore plus âgée que lui.

Les deux vieillards firent très bon accueil au jeune chevalier. Le duc montra d’abord quelque surprise, il avait toujours cru, disait-il, que le marquis de Chapolorys n’avait que des filles ; mais sa sœur la chanoinesse lui fit observer fort à propos que ses souvenirs n’étaient pas toujours bien fidèles. La bonne dame connaissait par le menu le nobiliaire de France et de Navarre et se piquait d’énumérer tous les décès et toutes les naissances survenues dans sa famille sans se tromper d’un jour. Elle déclara se fort bien rappeler la naissance et le baptême du jeune Robert et donna même à l’appui certains détails qui faisaient le plus grand honneur à la sûreté de sa mémoire, affirma le duc. Avec de pareils répondants, il n’était pas à craindre de voir élever le moindre doute sur la personnalité du chevalier Robert de Chapolorys, dont les manières courtoises et respectueuses eurent vite gagné le cœur du noble duc, aussi bien que celui de sa sœur.