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C’est bien la peine d’être faites comme nous pour mener pareille vie, disaient-elles souvent avec dépit.

Le pauvre marquis, fatigué de leurs incessantes récriminations, disait parfois en soupirant : — Ah ! si j’avais un fils ! Il pourrait présenter ma défense au roi et mon innocence serait peut-être reconnue… À ceci les deux péronnelles ne manquaient pas de répondre qu’elles étaient bien marries en effet de n’être que des filles obligées de garder la maison au lieu de courir le monde à leur guise.

Isabelle, la plus jeune, ne ressemblait en rien à ses sœurs. Elle aimait tendrement son père et mettait tous ses soins à adoucir ses ennuis. Elle l’entraînait à de grandes promenades dans la forêt ou passait avec lui de longues heures dans la vieille bibliothèque, et quand il était avec sa chère Isabelle le vieux marquis oubliait presque ses chagrins. Il s’occupait à l’instruire et lui avait enseigné tout ce qu’une fille de qualité doit savoir, et même un peu plus, car elle aimait l’étude et il lui plaisait d’y employer son temps, tandis que ses sœurs ne rêvaient que coiffures nouvelles et ajustements au dernier goût.

Cependant la jeune fille sentait bien que son père n’était point résigné à son injuste disgrâce. Elle s’en affligeait pour lui et rêvait à son tour aux moyens d’amener le roi à connaître la vérité.

Un jour que le marquis exprimait, pour la centième fois peut-être, le regret de n’avoir pas un fils pour le charger de sa défense :

— Mais pourquoi ne prendrais-je pas sa place ? dit tout à coup Isabelle. Je me rendrais à la cour sous un déguisement, et je trouverais bien là quelqu’un de vos amis d’autrefois pour me donner accès auprès du roi et me procurer le moyen de lui présenter votre défense.

Le marquis ne put se garder de sourire.

— Je ne vois pas très bien mon Isabelle jouant le rôle d’un hardi cavalier, dit-il.

— Et pourquoi donc, mon père ? Grâce à vous je sais monter à cheval et tirer l’épée, ce sont accomplissements de gentilhomme ; mes sœurs me traitent souvent de page en jupons, j’en revêtirai le costume et ainsi équipée j’écarterai tous les soupçons.

— Hélas ! mon enfant, fit le marquis ému, la cour n’est point