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FERDINAND BRUNETIÉRE. — LES ÉPOQUES DU THÉÂTRE FRANÇAIS.

se conj ouïssait, il me suffira de vous citer ces trois vers duu laquais poltron, dans l’Esprit folk l,àasiear d’Ouville : O ciel, fais- moi ce bien que mes craintes soient fausses, J’ai, d’appréhension, lâché tout dans mes chausses! Mais quoi, sans les laver, les laisserai-je ainsi... Ah ! messieurs, certes, nos pères n’étaient pas diffi- ciles, qui là-dessus s’éclataient de rire! Il est vrai, mesdames, qu’heureusement pour nous, nos grand"- mères l’étaient quelque peu davantage; et vous pouvez penser, en entendant ces grossièretés, la figure, ou plutôt la grimace de dégoût, que faisaient celles que l’on appelait en ce temps-là l’incomparable Arthénice, et sa fille, Julie d’AngeDnes,un peu plus prude encore qu’elle, la même qui fut depuis la sévère et complai- sante à la fois duchesse de Montausier. En comparaison de celles de d’Ouville oudeMairet, les comédies de Cor- neille n’avaient rien ou presque rien qui pût choquer ces nobles oreilles, et quand on y jouait de lévenlail c’était... pour se donner de l’air, et non plus, comme auparavant, pour dissimuler le rouge de la pudeur jus- tement offensée. D’autre part, également éloignées qu’elles élaieut de l’extravagance espagnole et de la bouffonnerie clas- sique italienne, non moins éloignées de l’ancienne liberté gauloise, on ne peut pas dire que Mélile ou la Veuve fussent proprement des comédies « réalistes », mais enûn c’étaient, à peine romancées, des imita- tions de la vie moyenne ou bourgeoise d’alors. Pas ou peu de « valets bouffons », ni de « capitans », ni de « docteurs », c’est Corneille, dans son Examen de Mélile, qui n’oublie pas de nous le faire observer lui-même; mais le ton, mais les « riens » de la conversation du jour, et pour héros, un peu embellis, les personnages que l’on coudoyait dans les rues de Paris ou de Rouen. Vous savez d’ailleurs que le point de départ ou plutôt que le fond de Métiic était fait d’une aventure de la jeu- nesse du poète; et n’est-ce pas comme si nous disions qu’au lieu de la caricature, c’était déjà, timidement et gauchement, la peinture des mœurs contemporaines qui s’insinuait, pour ainsi parler, dans la notion de la comédie ? .Mais de quel style surtout, mesdames et messieurs, ces premières pièces étaient écrites; — si naïf dans son air d’archaïsme, si charmant dans son hésitation, si amu.sant, si élégant déjà dans sa pn^-riosité, si gracieux en son contour, avec, dans l’ Illusion comique, par exemple, ce que l’on demandait encore alors de verve copieuse ou d’énormité mémo dans la drôlerie! Il faut que je vous en donne ici quelques échantillons, (jne j’ai choisis exprès de genres assez diffi-rents. Écoutez (1) Voy. làKlcssus V. Bouquci ; les l’uinis uOscurs de la ne île Cor- neille. Pari», 188». Hachette. ce couplet de l’amoureux Tircis, enfin rejoint à sa Mélite : Maintenant que le sort, attendri par nos plaintes, Comble notre espérance et dissipe nos craintes, Que nos contentements ne sont plus traversés Que par le souvenir de nos malheurs passés! Ouvrons toute notre âme à ces douces tendresses Qu’inspirent aux aman’s les pleines allégresses, Et d’un commun accord chérissons nos ennuis Dont nous voyons sortir de si précieux fruits. Adorables regards, fidèles interprètes, Par qui nous expliquions nos passions secrètes. Doux truchements du cœur qui déjà tant de fois M’avez si bien appris ce que n’osait la voix; Nous n’avons plus besoin de votre confidence, L’amour en liberté peut dire ce qu’il pense, Et dédaigne un secours qu’en sa naissante ardeur Lui faisaient mendier la crainte et la pudeur. Beaux yeux, à mon amour, pardonnez ce blasphème, La bouche est impuissante où l’amour est extrême : Quand l’espoir est permis elle a droit de parler, Mais vous allez plus loin qu’elle ne peut aller. Ne vous lassez donc point d’en usurper l’usage, Et, quoi qu’elle m’ait dit, dites-moi davantage (I). Oui, je sais, et je vais le redire tout à l’heure, je sais que cela ne va pas très profondément, et n’est, si vous le voulez, que le langage ou le jargon commun de la galanterie du temps; mais déjà quelle élégance, et quelle grâce, et quelle facilité de tour! Voici, de la Vnn-e, un autre passage, d’un tout auti-e genre, spiri- tuel et agréablement malicieux, où l’aisance du vers s’associe à l’expression de ce que la vie mondaine a de plus futile et de plus léger. C’est une jeune fille, qui cause avec sa mère d’un « prétendu » qu’on leur a pré- senté dans un bal : DORIS. Ah! Dieu, que c’est un cajoleur étrange, Ce fut paisiblement, de vrai, qu’il m’entretint :

me mena danser deux fois sans me rien dire. 

CHRÏSA.NTE. Mais, ensuite? DORIS. La suite est digne qu’on l’admire. M’iri baladin muet se retranche en un coin l’our faire mieux jouer la prunelle de loin. Après m’avoir de là longtemps considérée. Après m’avoir des yeux mille fois mesurée, Il m’aborde en tremblant, avec ce compliment : « Vous m’attirez à vous, ainsi que fait l’aimant. » Il pensait m’avoir dit le meilleur mot du monde. Entcudant ce haut style, aus^itAtjc seconde, (1) Mélite, acte V, scène iv. Je n’ignore pa» que ces vers ontété re- touchés; et la version que j’en donne là n’est même que de 16.i7, mais si la propriété de l’expression n’était pas tout a. fait la même, ni le gotit aussi pur encore dans le texte de 1633 — c’est la date de la première édition de Mélite — la grâce du tour et celle de l’ac- cent s’y trouvaient déjà tout entières. J’aurais d’ailleurs aussi bien cité, si je ne l’avais déjà fait dans une Élude sur Corneille, le mo- nologue de Pbilandre, acte III, scène i : Souveuirs importuns «l’une amiinlo laiMéo Qui vcnei malgré moi remettre en ma p«a>4e, etc.

P.