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12 M. R. VALLERY-RADOT. SENTIMENTS DE FAMILLE. qui, dans ses pages trop peu connues de moraliste, re- prochait aux pères de recourir sans cesse aux moyens violents, a Tauté léducation donnée par une mère paysanne : « Je ne me souviens pas, fait-il dire ;i celui qu’il met en scène, dans sa chronique du Spectateur français, je ne me souviens pas d’avoir jamais i-egardé ma mère comme une pei-soune qui avait de l’autorité sur moi. Je ne lui ai jamais oliéi parce qu’elle était la maîtresse et que je dépendais d’elle : c’était l’amour que j’avais pour elle qui me soumettait toujours au sien. » Un esprit pointilleux pourrait cependant repous- ser la valeur documentaire de cette phrase, la mettre sur le compte d’une fantaisie d’imagination en invo- quant, par contiaste, tous les bons pères et toutes les mauvaises mères qui défilent dans le théâtre de Mari- taux, sans voir que, comme aufeui- ilramatique ou comme philosophe, dans les deux cas, par des procédés divei’s, Marivaux obéissait au même sentiment : le dé- sii’ de rendre les alVections de famille plus douces et plus confiantes. l’appui de cette analyse où Marivaux énumérait toutes les qualités d’une vraie mère, voici un petit fait probant que l’on trouve dans les œuvres du polygrapheRestif de La Bretonne, si bouàinvoquer quand il s’agit des études de mœurs prises en pleine campagne. Restif a raconté la vie de son père, né en 16’J2, à Mlry, petit village de Bourgogne, non loin de Tonnerre. Ce père était fils d’un PieiTe Hestif, homme terrible pour les siens. Tout tremblait de.vant lui. Un jour que son fils Edmond s’était permis, à dix- huit ans, d’oll’rir, sans aiitori.sation paternelle, un bou- quet à une jeune fille du village dont la physionomie heureuse ne demandait qu’à rire, le vieux Pierre s’ap- prociia de ce fils galant qui, monté sur un cheval de charrue, allait se diriger vers les lei’ies de labour : ’■ Donnez-moi votit> fouet. — Le voilii, mon père. - Le père fra|)pa si violemment son fils, à trois reprises, que le sang coula. Edmond, sans un mot, sans un geste de révolte, poussa un soupir. » Souvene/.-vous-en, » dit Pierre Hestif, en rendant le fouet. La journée se passa a travailler. Au retour et à la vue de celte chemise tachée de sang, Anne-Simon, la bonne et douce mère d’Edmond, s’écria, les larmes aux yeux, en s’adressant a son mari : « Comme vous l’avez arrangé ! » Celte in- tervention i)rovo{ina un regret, presque un j’emords dans l’Ami- du père. On le vit pleurer. Alors, écrit Hes- lif, devant (îi- trait exliaordiuiiire de sensibilité pater- nelle, alors il. sembla (|ui’la nature allait se bouleverser, puis(|n’un père plrnrail. Femmes bourgeoises, fenunesdu peuple, c’est a leui’ influeme douic cl conlinuc ([ue Ion doit ce,s progrès (le tendres.se. I)is|)arais.saienl-elles? Leur souV(!uii- fai- sait que, dansées milieux simples, les pères elivaienl leurs enfants avec nm; .sollicitude plus vie. liappiilez- vous, dans la première partie des f.’o/i/is.w’o/i.s. ce pas- sage où J.-J. jtcjiisseuu laconleia vie île son pert; qui, resté vent, IraMiillanl a (icnève dans sa liuutii|niMriior- loger, disait souvent avec émotion : <• Jean-Jacques, parlons de ta mère, « et Jean-Jacques répondait : " Eh bien, mon père, nous allons donc pleurer I » Au mo- ment où ces souvenirs d’enfance lui revenaient à la mémoire. Jean-Jacques écrivait qu’il n’avait eu sous les yeux que des exemples de douceur et autour de lui que les meilleures gens du monde : « Mon père, dit-il, ma tante, mes parents, nos amis, nos voisins, tout ce qui m’entourait m’aimait. " .ussi, lorsqu’il prêcha plus tard le retour aux senti- ments de la famille, le rappel aux premiers devoirs des mèies ; lorsque Didei’Ot, après avoir composé le drame bourgeois et larmoyant du Pire de /ainille. disait a Greuzequi avait peint le tableaudu Paralylique, a[»pelé aussi la fiék filiale : « Courage, mon ami, fais de la morale en peinture, » et que Creuze, se complaisant dans ce genre, représentait la Mkre blen-ainv.e, où l’on voit une mère renversée sur .sa chaise, et entourée, en- vahie par <• sa fricassée d’enfants », selon le mot iro- nique de M"’ Geollrin ; lorsque lous trois proclamaient ces grands sentiments —dont ils goûtèrent peu cepen- dant les ellets réels — et que cette grande révolution dans les mœurs fut propagée dans un fracas de sensi- bilité, if y avait longtemps que, dans tous les petits coins de France, dans les intérieurs humbles et pai- sibles, les seutimeuls de famille élaienl en plein hon- neur. Ceux qui voudiaient les connaître mieux encore dans leur simplicité cordiale et leur bonne humeur attendrie peuvent étudier les tableaux de Chardin, sou Beiiedicite, sa Mire laborieuse dont la figure si calme se detachedansun intérieurs! simple, et tant d’autres su- jets où i-cvivi’ut tant de braves gens. Dans cette classe de la bourgeoisie, les pères, euve loppés par cette atmosphère de bienveillance, deve- naient d’une autorité si tempérée que le père de Beau- marchais, l’horloger Charles Caron, marié, lui aussi, a une excellente femme, écrivait à son iils en IK^k : « Tu me recommandes de t’aimer un |)eu ; cela n’est pas possible, mon cher ami... Un fils comme loi n’est pas fait pour n’être qu’un peu aimé d’un père qui sent et pense comme moi. Les larmes de tendresse qui lombenl de mes yeux sur ce papier tsn sont bien la preuve ; les (jualités de ton excellent cœur, la force et la grandeur de ton àme me péuèlrent du plus tendre amour. » El, avec cette candeur phrasée que l’on retrouve si sou- vent au wiir’ siècle : >■ Si un fils, ajoute-t-il. s’honore en louant un père homme de bien, pourquoi ne me .serait-il i)as permis de me louer de nmu cher Iils en lui reiiilant justice? Oui, j’en fais ma gloire, et je ne cesserai januiis de le faire en toute occasion. » (Jue imus voilà loin des .scrupules palernels d’un Montluc! Ce n’est |)as à dire que cette détente du pou- voir, que ce besoin d’elTusion lut général. Dans les fa- milles dites à grands pi-incipes, le t>}stème de discipline