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d’ailleurs exquis, dont Il barbiere, Crispino, la Gazza Ladra, sont les modèles. Cela s’appelle l’opéra buffa. Mais si l’on veut appliquer cette même méthode à des situations que l’on n’a pas l’intention arrêtée de traiter en pantalonnade, on en arrive au donizettisme qui consiste à faire aimer, désespérer, gémir et mourir ses héros, c’est un perpétuel tempo di walzer. Et c’est l’abomination de la désolation.

Encore faut-il bien reconnaître que la musique italienne chantée en italien, à la mode italienne, par des artistes italiens n’est pas sans présenter quelque charme, et qu’il y a encore dans la Traviata, ou dans Rigoletto, des valses qui font plaisir. Mais dans une œuvre qui est destinée à l’Opéra de Paris, et non à la Fenice, à la Scala, ou à San-Carlo, l’italianisme apparaît comme une lèpre, et c’est tout justement ce qui se produit pour les Huguenots.

Qu’y a-t-il au monde de plus italien que le chœur de l’orgie : Bonheur de la table, l’air : Il règne en tous les cœurs, la cavatine du page, la strette du final : Les plaisirs, les honneurs, la puissance (tout cela à trois temps, bien entendu) ! Et qu’est-ce que le second acte en entier, sinon une longue valse avec les roulades interminables du beau pays de la Touraine, la scène du landeu, le quatuor des femmes, le chœur des baigneuses, et tutti quanti. Joignez-y les chœurs du 3e acte, et tout particulièrement celui de la noce. Voilà ce que Meyerbeer doit à l’influence italienne. Ce n’est pas le meilleur de son œuvre. Relevons en passant, et pour être juste, des fragments de phrase, moitié airs, moitié récitatifs : trop de mérite aussi quelquefois importune. Grâce à lui l’on m’oublie, ou quel ennui de sortir en un pareil moment, des riens qui sont de purs bijoux et suffiraient à faire la fortune d’un opéra-comique.

Les italianismes et les récitatifs exceptés que reste-t-il ? la partie vraiment originale, vraiment meyerbeerienne, c’est-à-dire la seconde moitié de l’opéra, la moitié dramatique.

Et c’est qu’en effet, la tournure d’esprit de Meyerbeer, sa manière, son style, le portaient essentiellement aux effets tragiques, aux situations violentes, aux sentiments extrêmes. Il a subi l’empreinte de son époque. Il est d’un tempérament romantique ; son génie s’attachait davantage à ce qui est, ou lui paraissait noble, grandiloquent et sonore. Il eût un peu de l’âme d’Hugo, c’est dire qu’il fut en ce sens, proche parent de Berlioz. De là, la présence, dans son œuvre, de pages où l’originalité cherchée atteint l’outrance et la bouffissure, mais aussi de pages sublimes, propres à faire naître l’impression la plus forte.

Il est aujourd’hui de bon ton d’afficher le plus grand mépris pour le genre d’émotions que peut éveiller le Répertoire Ancien. De quelque nature que soit cette sensation, elle n’en existe pas moins, et j’imagine qu’elle ne présente avec celle ressentie à l’audition des grands classiques, qu’une différence de degré et non d’espèce. Tout ce que l’on peut concéder, c’est que le répertoire meyerbeerien étant directement accessible au plus grand nombre, le frisson que l’on y peut éprouver est d’une qualité moins noble, moins rare et moins précieuses que celui que procurera la Scène des Nornes ou l’Enchantement du Vendredi-Saint.

Cette réserve faite, pourquoi ne serait-il pas permis d’admirer telle phrase des Huguenots, et d’y éprouver du plaisir. On ne saurait nier l’inspiration très haute de certains thèmes du rôle de Valentine dans le duo du 3e acte, et par exemple la phrase : « Ah ! l’ingrat d’une offense mortelle », contrepointée par la basse et deux cors. Le septuor Et bon épée et bon courage, a peut-être quelque intérêt en dehors même de son contre ut dièze. Enfin, le 4e acte constitue un magnifique et puis-