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phrase d’un odieux et trivial accompagnement de mazurka, en ferait la plus platement vulgaire des danses. Beethoven a revêtu cette phrase d’un pimpant accompagnement de triolets sautillants ; c’est la plus poétique, la plus aérienne des chansons.

Chacune des deux périodes de la troisième phrase, vive et gaie pendant trois mesures, s’achève comme par un soupir. Ni l’une ni l’autre ne se termine sur la tonique, mais bien sur la seconde que précède la tierce bémolisée. Malgré la barre de mesure interposée, ces deux notes séparées par un demi-ton sont liées. La figure qui résulte de l’accolement de ces deux notes unies et distantes d’un demi-ton produit l’effet d’une plainte langoureuse. Dans le cours de cet allegro cette figure est répétée à plusieurs reprises quatre fois de suite.

Plusieurs charmantes et onduleuses marches inverses en triolets sont à signaler.

Cet allegro moderato qui débute si gracieusement demeure, en dépit de rares accents doucement plaintifs, frais, lumineux et riant. Le spectacle de la belle nature éveillait infailliblement chez Beethoven des sentiments d’admiration, de sainte et bienfaisante joie. Cet état d’âme est exprimé dans cet allegro moderato avec un grand charme poétique.

Pendant ses promenades à travers champs, qu’il affectionnait tant, Beethoven s’asseyait au pied d’un arbre et se prenait à songer. L’adagio en mi bémol n’est qu’une de ces profondes méditations dans lesquelles le Maître aimait à se plonger. C’est une contemplation de l’ordre le plus élevé. L’âme du poète musicien s’élève dans les régions éthérées au-dessus des misérables contingences terrestres et plane dans le plus pur idéalisme. On sent poindre l’aurore de la troisième manière.

Cet adagio s’enchaîne sans interruption avec un scherzo en sol mineur. Cette tonalité est tout à fait exceptionnelle dans l’œuvre de Beethoven. Elle est au contraire familière à Mozart qui en a usé dans deux de ses chefs-d’œuvres : la Symphonie en sol mineur et un Quintette pour instruments à cordes dans la même tonalité. Tout ce scherzo est caractérisé par une forte accentuation sur le troisième temps. Le trio en mi bémol est absolument délicieux.

Le poco allegretto final n’est tout simplement, bien que mention n’en soit pas faite, qu’une série de variations sur une simple et gracieuse mélodie champêtre. La première phrase de cet air rustique ne se départit point de la tonalité de sol majeur. La deuxième phrase débute par une modulation dans le ton de si majeur, puis retourne à la tonalité primitive. Les deux reprises qui suivent ne sont qu’une variation en croches liées. Une deuxième variation est constituée par des réponses alternantes en triolets. Une troisième est formée par une délicate broderie de doubles croches de la main gauche. Une quatrième variation est coupée par des accords lancés à tour de rôle par le piano et le violon. L’adagio en 6/8 n’est encore qu’une ravissante variation interrompue par des points d’orgue. Pour se convaincre qu’il s’agit bel et bien de variations, il suffit d’observer la succession des accords. Elle est absolument la même dans toutes ces variations et la modulation en si majeur est ramenée constamment à la même place. Après un retour de la mélodie originelle en mi bémol, l’allegretto s’achève par une deuxième variation d’un mouvement plus rapide.

Cette dixième et dernière sonate nous offre à admirer un adagio d’une sublime inspiration. Dans toutes ses autres parties elle célèbre poétiquement les sentiments de bonheur intime que font naître la splendeur et la richesse de la campagne couverte de fleurs et de verdure.