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En voici la raison, Rellstab qui après avoir été officier d’artillerie, devint romancier et écrivit de remarquables critiques musicales dans les journaux de Berlin, avait en effet composé cette sonate à une excursion en barque par un clair de lune sur le lac des Quatre-Cantons.

Il ne semble pas hors de propos de citer une appréciation de Berlioz sur l’adagio par lequel débute cette sonate : « Il y a une sonate de Beethoven connue sous le nom de sonate en ut dièze mineur dont l’adagio est une de ces poésies que le langage humain ne sait comment désigner. Les moyens d’actions sont fort simples, la main gauche étale doucement de larges accords d’un caractère solennellement triste et dont la durée permet aux vibrations du piano de s’éteindre graduellement sur chacun d’eux ; au-dessus les doigts inférieurs de la main droite arpègent un dessin d’accompagnement obstiné, dont la forme ne varie pas depuis la première mesure jusqu’à la dernière pendant que les autres doigts font entendre une sorte de lamentation, efflorescence mélodique de cette sombre harmonie. »

M. Geloso a su chanter sur son piano avec infiniment d’expression cette efflorescence mélodique. Le chant pénétrant surnageait libre au-dessus des triolets arpégés, de même qu’un cor domine un discret accompagnement.

L’allegretto en bémol majeur, ton enharmonique d’ut dièze mineur ne compte que soixante mesures. « C’est une fleur entre deux abîmes », disait Litz, qui faisant allusion à son apparente facilité ajoutait : « Eh bien non, cet allegretto n’est pas facile, c’est un morceau sur lequel on passe sa vie, quand on est artiste ». M. Geloso, bien que jeune encore, l’a joué incomparablement.

Le final de cette sonate a été comparé à une succession de grondements d’orage, d’abord lointains et sourds, puis se rapprochant et se terminant par deux formidables coups de tonnerre. M. Geloso a pittoresquement démontré la justesse de cette comparaison. Il a réellement donné l’impression saisissante de deux terrifiants coups de foudre, précédés de roulement s’enflant progressivement.

Applaudit comme il le méritait, M. Geloso a exquisement joué une valse de Chopin. Il possède indiscutablement un talent d’une haute envergure, souple et varié.

La Chacone de Bach pour violon seul ! Cet universel et colossal génie qu’est le grand Bach a accumulé dans cette dernière partie de sa quatrième sonate pour violon seul toutes les difficultés qu’il est possible à l’imagination de concevoir. M. Rinuccini a joué cette chacone de façon a faire douter de son extrême difficulté, tellement les triples notes ressortaient avec précision, netteté et justesse, tellement les arpèges, les traits en triples croches étaient enlevés avec aisance. Ainsi rendue cette chacone est une œuvre d’une souveraine beauté.

Acclamé avec enthousiasme M. Rinuccini a gratifié ses auditeurs de l’adagio cantabile de la première de ces sonates de Bach pour violon seul. Il l’a aussi bien, peut-être mieux joué que la chacone. Il a constamment conservé dans cette dernière pièce un rythme mathématique. Dans la chacone n’avait-il pas quelque peu accéléré deux ou trois traits ? Quand on n’a d’autre défaut que l’ardeur de la jeunesse on a la certitude de s’en corriger un jour.

Est-ce en raison de l’heure relativement tardive ? Toujours est-il que certainement la première partie et probablement la troisième partie de la sonate de Schumann (op. 105) ont été prises dans un mouvement trop rapide. Si dans Schumann il est légitime de ne pas se fier aux notations métronomiques inexactes parfois, on doit toujours se conformer rigoureusement aux indications qui précisent le sentiment et le caractère. La troisième partie de la sonate de Schumann (op. 105), porte une annotation allemande dont la traduction est « avec une expression douloureusement passionnée ». Ce sentiment plus réellement douloureux que passionné ne comporte certainement pas un mouvement rapide. Dans la circonstance l’indication métonymique de 68 à la noire pointée aurait dû être observée.

L’allegretto a été joué dans le véritable mouvement, MM. Rinuccini et Geloso en ont bien fait ressortir toute la poésie vaporeuse et le charme pénétrant. Il n’est que