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rité d’inspiration dont on était fortement touché, et il y avait aussi, avec un sentiment pittoresque qui manquait aux œuvres entendues à cette époque, une poésie tendre et rêveuse dont la mélancolie fut un charme comme retrouvé après une absence. C’est là la plus grande qualité de Salammbô dont la célèbre cantatrice Rosé Caron fut l’incarnation magnifique.

Certains critiques ont fait à M. Reyer le reproche d’avoir méconnu les enseignements qu’il aurait pu puiser en la lecture et l’audition de la tétralogie wagnérienne dont le Siegfried et le Crépuscule des Dieux sont un génial Sigurd, et de n’avoir pas modifié son sujet ou sa manière au contact de ce souffle sublime. Félicitons-en M. Reyer qui fut un des premiers à reconnaître et à proclamer la beauté de l’œuvre du grand maître allemand, tout en la redoutant pour la sienne. À subir, servilement comme tant d’autres, l’influence tyrannique de Wagner, qu’aurait-il gagné, tandis que nous y aurions probablement perdu les plus pures mélodies qui murmurent et dans la source fraîche de Sigurd et dans le rêve troublant de Salammbô. Les habiletés de facture ne cachent pas longtemps le vide de certaines œuvres, et celles qui sont filles de l’inspiration survivent aux opinions et aux goûts momentanés des hommes. Elles ont en elles une âme qui les soutient et c’est cette âme qu’on sent palpiter sous l’écorce rugueuse et même maladroite de la musique de Reyer. On peut l’attaquer, elle se défendra elle-même par les belles pages que notre théâtre va nous rappeler ce soir.

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Études sur l’Expression Musicale de l’Amour

Le Duo de Tristan

(Acte ii, sc. ii)

et le Duo de Siegfried

(Acte iii, sc. iii)
« Ces yeux si profonds et si graves
Que j’ai vus briller tant de fois »


Ce n’est pas sans quelque hésitation que j’ai mis, et par deux fois, en titre de cette étude psychologique et musicale, le terme duo, qui semble détacher dans l’indivisible tout qu’est une action wagnérienne un de ces fragments isolables dont la juxtaposition constituait l’opéra classique. J’y ai été amené par une idée de comparaison et pour montrer tout d’abord comment, ayant voulu étudier l’expression thématique des mouvements passionnels, j’ai laissé de côté les œuvres du répertoire français et italien, pour m’en tenir à celle du maître allemand.

Si l’on veut, en effet, tenter quelque parallèle entre deux duos pris dans les opéras de Meyerbeer, ou ceux de Massenet, on est frappé de voir combien ces auteurs sont restés constamment semblables à eux-mêmes, et combien peu, quelque différentes que puissent être les âmes des personnages en présence, l’expression mélodique de leurs sentiments différera. Le parallélisme thématique du duo du 4e acte des Huguenots avec celui de l’Africaine est aussi typique qu’indiscuté. Telle phrase langoureusement déclamée par le mélancolique Werther pourrait être, sans que cela heurtât, soudée à telle autre phrase de l’inconscient et amoral Des Grieux ; et, chose plus grave, le solitaire Athanaël, le vaillant Rodrigue, et le très chaste St-Jean s’expriment en des termes, musicalement parlant, d’une analogie regrettable. Qui oserait soutenir que le motif : « Je puis donc respirer cette enivrante fleur » n’est pas une mélodie plus digne du chevalier de Manon que de la sainte victime d’Hérodiade.