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tique et de romans moraux. Il n’est pas toujours de bonne compagnie, mais son style superbe magnifie l’injure. C’est un grossier personnage, mais un grand écrivain.


THE PEACOCK ROOM

La célèbre décoration de la Chambre du paon, exécutée par Whistler pour M. F.-R. Leyland, a été récemment enlevée de l’hôtel de Prince’s Gate et exposée dans son ensemble à la galerie Obach, New Bond Street, 168.

Le point de départ de cette curiosité artistique parait avoir été l’acquisition par M. Leyland d’une composition de Whistler intitulée : La Princesse du pays de la porcelaine, que le collectionneur installa sur la cheminée de sa salle à manger. Celle-ci, construite par l’architecte Jeckyll, qui l’avait ornée d’un plafond en bois très compliqué, était entourée d’étagères destinées à recevoir les collections céramiques du propriétaire et tapissée de cuir de Cordoue qui, à lui seul, avait coûté 25, 000 francs. Soit que le ton sombre du cuir ne lui semblât pas s’harmoniser avec son tableau, soit que les fleurs rouges qui l’enluminaient lui parussent d’un éclat trop sonore, Whistler demanda et obtint l’autorisation d’éclaircir, par quelques touches de cadmium, le décor de l’architecte. La besogne l’amusa et, en l’absence de M. Leyland, il continua à harmoniser avec sa toile le revêtement de cuir, les étagères, puis le plafond, la cheminée, les meubles, au point de transformer la pièce de fond en comble. Nous avons décrit jadis cette merveille de goût et d’harmonie : « Qu’on imagine une grande salle rectangulaire à laquelle deux portes donnent accès et qui reçoit la lumière, dans la journée, par trois grandes fenêtres ouvertes sur les jardins d’Ennismore, près Hyde-Park, et qu’éclairent le soir huit sun-burners dissimulés dans des globes de verre dépoli. La décoration ne se compose que de deux tons, le bleu et l’or : mais le bleu est d’une nuance si délicate qu’on ne saurait dire, à première vue, si c’est de bleu ou de vert qu’il s’agit, et l’or s’éteint dans des dégradations de tons pâles d’une douceur infinie. Autour du chambranle des portes, des guéridons superposés, bizarrement accouplés, forment un réseau de légères baguettes d’or vierge dans les entrelacs duquel sont posées des potiches en porcelaine du Japon d’un bleu mourant. Sur les panneau, sur les lambris, dans les caissons du plafond où se marient le cadmium clair et le bleu d’outremer, il n’y a qu’un ornement, répété sans cesse mais si ingénieusement disposé que, loin de fatiguer par sa persistance, il donne à l’ensemble un aurait singulier et maintient l’unité de la composition : c’est l’œil qui s’épanouit dans le plumage de l’oiseau de Junon, la plume de paon qui, depuis lors, a fait fureur en Angleterre. Sur les vantaux des fenêtres, ces plumes ruissellent en cascades d’or neuf, se détachant sur des fonds d’un bleu profond comme la voûte du ciel, et, dans le grand panneau du fond, faisant face à la cheminée décorée du portrait d’une jeune femme en robe japonaise, deux paons, orgueilleusement campés sur leurs ergots, crête au vent, la queue déployée en éventail immense, se défient du regard, prêts à s’élancer l’un sur l’autre. Des amis malicieux de l’artiste ont vu une allégorie dans ce tableau, qui complète l’étrange et charmante décoration, et prétendent même reconnaître sous la forme bouffie, comique de prétention vaniteuse, d’un des combattants, le propriétaire de l’hôtel, que des questions d’intérêt ont brouillé avec l’artiste avant l’achèvement de son œuvre. Ils affirment que le paon fluet, coquet, dégagé, qui examine son adversaire la tête renversée d’un air moqueur, prêt à le larder de coups de bec, n’est autre que Whistler lui-même, que ce trait a vengé des tracasseries du philistin millionnaire[1].

Tout Londres vient de défiler devant cette œuvre unique, exquise et singulière, que la mort récente de Whistler investit d’une émotion spéciale. La décoration est entièrement de sa main : tout au plus a-t-il eu recours à un assistant pour la dorure des fonds et le laquage des guéridons. C’est avec une sorte de fièvre que Whistler travaillait, tantôt juché sur un échafaudage, tantôt, pour peindre le plafond, couché dans un hamac, tantôt armé d’une brosse fixée à l’extrémité d’une canne à pêche. Si bien que cette tâche considérable fut achevée en moins de six mois, au cours des années 1876 et 1877.

À la mort de M. Leyland, la Princesse du pays de la porcelaine fut vendue 10, 500 francs et remplacée sur la cheminée par une glace. Ainsi disparut, par une ironie du sort, la cause première, le prétexte, la raison d’être de tout ce long et patient travail. La Chambre du paon, elle-même, vers quelles destinées s’est-elle embarquée ? En quel hôtel bourgeois va-l-elle s’amarrer ? Quelles mutilations va-t-elle subir ? À moins que le Musée Victoria et Albert lui offre un port hospitalier…


Les Œuvres de Hugues Van der Goes.

Nous avons reçu la lettre suivante :

Anvers, le 8 août 1904.

Monsieur le directeur de l’Art Moderne, Bruxelles.

  Monsieur,

Je pense qu’il est dans l’intérêt de vos lecteurs de relever quelques « erreurs et omissions » commises par M. Sander Pierron dans son article sur Van der Goes[2], notamment dans la nomenclature des œuvres « qui peuvent être attribuées avec le plus de certitude au célèbre primitif flamand ».

Sont citées comme telles :

La Vierge des Offices, qui ne peut être que le n° 689, attribué en effet à Van der Goes dans les anciens catalogues ; en réalité il s’agit d’une œuvre de jeunesse de Henri Bles, qui n’offre aucune analogie avec le style de Van der Goes.

La Vierge et l’Enfant Jésus du Musée de Munich. J’ignore de quelle œuvre il s’agit ; aucune de celles représentant ce sujet et appartenant à la Pinacothèque ne fait songer à Van der Goes. Son nom ne figure qu’une fois au catalogue, sous le n° 114, qui représente l’Annonciation. Or, cette attribution n’est plus maintenue aujourd’hui ; l’œuvre est donnée au Maître de l’Assomption de la Vierge, dont M. G. Hulin a proposé l’identification avec Albert Bouts, le fils de Thierry.

Saint Jean dans le désert, également à Munich, « signé Hugo V. D. Goes 1472 ». Cette signature est fausse et constitue

  1. V. l’Art moderne, 1885, p. 294.
  2. L’Art Moderne, n° 32.