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pour en juger. Enfin, je reconnus qu’avec de l’émeri, on me polissait soigneusement. J’étais de métal précieux, pas tout entière pourtant, car un peu d’émail représentant, ma foi, Vénus sortant de l’onde, recouvrait partie de mon épiderme. Ma forme nouvelle fut aussitôt une curiosité à mes yeux. Il faut se figurer, réunis par une charnière et par une sorte de jambage central, deux parties bombées, l’une d’un large rayon, et portant l’émail dont je viens de parler, l’autre à deux courbes jumelles. Qu’est-ce que je pouvais bien me trouver devenue maintenant ?

Cependant, on continuait à me fabriquer, à me limer, à me faire reluire, à me donner toute une gloire qui, sans doute présageait un illustre destin. Je dirai mieux : on me traitait comme si j’eusse été une couronne royale. Mais quelle étrange forme de tête aurait dû avoir mon porteur pour que je lui allasse bien…

J’avais un côté, le devant, évidemment, puisque j’y portais mes émaux d’argent finement gravé de rinceaux et d’arabesques. L’attache qui joignait mon devant à mon arrière, cette petite courbe élégante et nue qui se fermait par une serrure délicate, à entrée en trèfle, avait été polie comme un miroir, c’était vraiment une jolie chose. Comme j’étais curieuse de deviner mon avenir.

Alors, au moment où l’on finissait de m’astiquer, une femme — sans doute l’épouse de celui qui travaillait mes grâces — entra et vint admirer l’ouvrage.

— Elle sera jolie, hein ? dit l’homme en me présentant avec orgueil.

La femme me tourna et me retourna.

— Oui-dà ! mais j’aime mieux que ce soit pour une autre que moi.

Le polisseur ricana.

— Ça serait utile à beaucoup.