Page:Renee-Dunan-Galantes-reincarnations 1927.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 21 —

long corps tout en fil de fer sans doute galvanisé. Il était obscènement maigre, et quand les basques de son frac lui battaient les mollets, on croyait entendre ses jambes vibrer comme cordes de harpe. À ces caractères, et à une sorte de hargne blette qui lui ressortait des bajoues, je devinai que ce fût le mari, c’est-à-dire le maître de la maison, le patriarche, comme dit Claude Farrère qui a le goût des vocables épiques, et, pour tout dire, le cocu.

La femme apparaissait semblable à une bacchante qui aurait épousé un duc et un pair. Elle étalait une chevelure ébouriffée et transparente dont la nuance, d’un roux violâtre, aurait fait damner le Titien (lequel s’est damné tout de même, je présume). Là-dessous, une tête ardente, riante et charmante, avec des yeux plus grands d’un doigt que ceux des portraits féminins de Van Dongen, une bouche ourlée par la plus divine et angélique des machines à coudre, un nez précieux à tenter les voleurs, et le reste à l’avenant. Quant à parler de ce que je voyais aussi de son corps, il me faudrait des mots plus finement attouchants que pattes d’araignée et des adjectifs en plumes de colibri. J’y renonce. Mais qu’on ne se figure pas, après cette idéalisation, voir mon héroïne semblable à une chaste Suzanne devenue madone à l’usage des peintres qui font dans le préraphaëlité ou le primitif. Ladite personne avait même une façon de présenter son décolletage qui l’étendait subtilement jusqu’à l’ombilic, et alors, toutes les comparaisons du cantique des cantiques naissaient en vous, champignonniquement…

… Bref, l’homme était moche, et la femme délicieuse. Je n’ai pas besoin ici d’en appeler aux faiseurs de romans et autres sculpteurs d’éponges, car il m’apparut nettement qu’un tel couple devait enfanter le drame et la tragédie de façon spontanée. Aussi, humble oreiller, je tendis toutes mes oreilles pour bien comprendre, deviner, interpréter ce qui allait se passer.