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d’eau sale, et je pestai fortement. Ah ! si j’avais pu me faire entendre, je leur en aurais dit de vertes…

Non seulement ils s’embrassaient, mais ils faisaient mieux et pire. Ils oubliaient les lois sacrées de la pudicité. Moi, savonnette rose, j’en rougissais.

Et bientôt… Ici la voix me manque pour conter leurs turpitudes. Après un si lourd châtiment de Satan, pour avoir mis en doute son existence, je ne voudrais pas être punie pour entrer à 250.000 dans des détails faits à l’usage particulier des éditions rares et bibliophiliques. Et puis, on me traiterait de gâcheuse… Taisons-nous donc ! Je fus témoins, et, j’ose le dire, témoin indigné, d’abominations. Ah ! c’est une bien grande misère que d’assister, impuissant, à des ébats aussi scandaleux. De ceux dont Naples, en son musée secret, conserve la mémoire sous forme de bronzes, marbre et fresques retrouvés à Pompéï.

Mais, comme disent les chiens amoureux eux-mêmes, il n’est si bons amis qui ne se séparent. Le charbonnier s’en alla. Je me revis seule, avec ma propriétaire, et prête à lui pardonner, car les savonnettes ont l’âme généreuse.

Elle était en bien triste état, hélas ! et maculée autant qu’un drap d’hôtel borgne. Aussi sentis-je que ma fin était venue. Pour la décrasser, je me dévouai jusqu’au bout, je me sacrifiai et je succombai héroïquement à la tâche. Avant de mourir, j’eus pourtant la satisfaction de le constater, elle était redevenue blanche, polie et suave. Elle criait même avec dépit :

— Ce salaud de charbonnier est un amant admirable, mais quelle crasse ! La prochaine fois, je lui ferai d’abord prendre un bain.

— Bien dit ! m’exclamai-je au moment de me dissoudre tout à fait, et avec une étrille…