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jeune. Une savonnette peut se permettre plus d’impassibilité devant la destinée que la Jeune Captive de Chénier.

À tabler sur mon usure des débuts, je pouvais compter sur trois semaines d’existence. Ce n’est pas rien.

Hélas ! On fait des plans et des calculs, on croit prévoir un avenir tout en rose et déjà le malheur est chez nous. Le second jour, ma maîtresse vint me retrouver à la même heure que la veille. Je me prêtai à ses embrassements. Je moussai follement, autant comme savonnette qu’à cause du plaisir éprouvé. Les choses semblaient devoir rester délicieuses…

Mais voilà qu’un olibrius entre dans le cabinet de toilette. Il parle d’une grosse voix pareille à l’éloquence d’un romancier cicéronnant dans un haut parleur. Avec un petit cri, mon amie et propriétaire se retourne et, aveuglée pourtant par l’eau, j’ai le désagrément d’apercevoir… un charbonnier ! Oui ! c’est comme je vous le dis, un charbonnier avec la tenue de sa profession. Une crasse ancienne rehaussée de taches plus récentes, couvrait son visage et ses mains.

Je m’attendais à ce que le manant fût jeté à la porte sur-le-champ. Entre-t-on ainsi chez une jolie femme en état de grâces, qui cause précisément avec sa savonnette ? Non, certes ! C’est un manque de politesse flagrant. Mais le charbonnier ne parut pas s’en apercevoir. Il cria :

— Madame, vous êtes bougrement jolie !

— Chut ! chut ! répondit mon aimée, que je me pris à détester. Tu vas attirer du monde !

L’autre se mit à rire si niaisement que j’en connus la colère, et ma mousse s’arrêta net…

Cependant, à ma grande honte, le charbonnier et ma maîtresse s’embrassaient à corps perdu — et trouvé. On me laissa choir à terre, piteusement, dans une flaque