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heureux, je me gonfle d’orgueil, je joue presque le rôle d’un amant fervent…

Crac ! On me lâche, la malade, comme guérie, se relève d’un trait. Le médecin reste pantois sans comprendre, et d’un coup de pied on m’envoie à l’autre extrémité de la pièce en disant :

— A-t-on idée, un clysopompe pareil, il siffle… Sans doute, sans m’en être aperçu, avais-je l’embouchure mal faite. Je n’eus pas le temps d’en savoir plus. La blessure du coup de pied était mortelle. Mon âme s’envola…


iv


Je me demandais souvent, lorsque j’étais femme : quel plaisir peut-on prendre à être puce ? Hélas ! un moment vint où je pus répondre à cette étrange question. Je me vis, ayant expiré comme clysopompe, devenir une gracieuse bestiole, grosse comme un grain de macouba ; et je sautais dans la toison serrée et fine d’un joli chat d’appartement.

L’avouerais-je, me sentir douée de vie et agile comme un rayon de soleil, me consola dans mon malheur, Une puce, c’est bien peu, quand on fut femme et mieux : amante d’un grand prince, Mais c’est pourtant plus que de se connaître un simple objet sans mouvement, une de ces matières inanimées dont a fait à volonté, ceci, cela ou autre chose. C’est supérieur même à un de ces instruments qu’on peut soumettre à toutes les humiliations. Car enfin, je m’en apercevais à ce moment-là, juchée sur la tête plate du chat qui formait mon logis : le rôle précédent joué par moi n’avait, en vérité, rien de si honorable. Je m’y étais complue, pour des raisons subtiles, et parce que je n’avais pas encore dévêtu tout à fait mon âme de femme pour qui tout de son corps est noble et