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Telle était pourtant ma seconde réincarnation ! Je me contemplai donc, humble et résignée, et sentant que ma vie pouvait s’éterniser en cet objet. Une lingerie intime, on sait bien, ça s’use tôt. Mais un bibelot pharmaceutique et apothicarien, tout de métal, ma foi, hors une petite canule de faux ivoire, ça peut durer longtemps, une, deux, trois vies humaines. Me verrai-je clysopompe un siècle durant ?

Cependant, je me trouvais dans un cabinet de toilette, galant et garni, qui prouvait une certaine richesse chez ma propriétaire. Cela commença de me consoler. On a beau n’être qu’un substitut — à vrai dire perfectionné — de la seringue, on a son petit orgueil. Appartenir à une basse bourgeoisie m’eût semblé une disgrâce supplémentaire. Mais j’espérais bien être dévouée à servir une jolie femme, et jeune, et noble, du moins par son maître, mari, amant ou protecteur…

Soudain, la porte du cabinet de toilette, où je méditais ainsi s’ouvrit. Je vis entrer une personne charmante, remplie de tous les agréments physiques que j’attendais, et dont se font — je le savais mieux que personne — les maîtresses de rois. Elle était pâle et triste. Une soubrette la soutenait par le bras. Ah ! quelle lamentable peine pouvait offusquer cette bouche faite pour le sourire ? Quelle pensée traîtresse voile ces yeux faits pour admirer un amoureux ardent ? Quelle déchirante douleur affaissait ce torse que je n’imaginais pas autrement que cambré par le désir ? Quel souci atroce pouvait bien faire une loque plaintive de cette femme exquise, désignée de toute éternité, j’en aurais juré, sur les livres de la Providence, pour réjouir et délecter les fervents du petit dieu galant ? Hélas ! devant sa misère inexplicable, je faillis pleurer, de compassion, des larmes de clysopompe…

Cependant, derrière la malheureuse, entrait un médecin, un homme à perruque et lunettes, brandissant