Page:Renard - Le Vigneron dans sa vigne, 1914.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
172
LE VIGNERON DANS LA VIGNE


— Tu as dit, ouvrant d’un beau geste ton tiroir : « Prenez, mon ami ! » et, à ta stupéfaction, le tiroir était vide.

— Et tu as dit : « Oh ! rien ne presse ! » à qui te rendait une somme prêtée, et ce prêt troublait tes sommeils.

— Tu as dit d’un débiteur insolvable : « Ce n’est pas le procédé que je regrette, c’est l’argent. » Et ta langue ne fourchait point.

— Tu as dit à l’artiste : « Nous ne vendons pas des pruneaux », et tu as dit au bourgeois avec qui tu te promenais en voiture, sur une route nationale : « Vous savez, entre nous, moi, au fond je suis un bourgeois. »

— Tu as dit que l’artiste devait vivre pauvre et loin du monde, et tu as dit au bord d’un champ de betteraves : « Ah ! si j’avais autant de billets de mille qu’il y a là de betteraves ! »

— Tu as dit : « On ne respire qu’à la campagne », parce que tu ne pouvais acheter avec ton âme un palais en ville.