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Nouveau Message de Tiburce



L’astronome sortit de l’Élysée rompu de lassitude. Il avait dû faire un violent effort sur lui-même pour se montrer optimiste à la séance du Conseil. Sa tristesse de père et sa raison de savant s’étaient livré bataille. C’est une belle action, mais c’est une torture, de peindre l’avenir des autres en couleurs agréables, quand l’avenir est devant soi comme un trou noir.

Il rentra chez lui démoralisé, estimant sa tâche accomplie et ne pensant plus qu’à revoir Mirastel, où le docteur Monbardeau l’avait précédé. M. Le Tellier voulait être là — quel supplice infernal que cette pensée ! — lorsque, dans la pluie de cadavres tombant sur le Bugey… — Oh ! cette pensée de damnation qui lui venait sans relâche et qu’il n’avait jamais l’horrible courage de finir !…

M. d’Agnès l’attendait boulevard Saint-Germain. Sa vue n’était pas faite pour ragaillardir le pauvre homme, tant elle lui rappelait de chers desseins perdus, et tant le duc avait l’air sombre.

Il s’ouvrit de son désespoir à M. Le Tellier. Aucun ingénieur ne lui laissait la moindre illusion ; le monde invisible était inexpugnable ; ainsi le décrétaient les Facultés. Lui, il en devenait neurasthénique. La nuit, ses cauchemars l’effaraient de visions sus-aériennes : vivisections, mariages scandaleux, ateliers de naturalisation humaine, etc. ; et le jour, ses idées restaient imbues de délire. Il n’avait pas échappé à la phobie de l’invisible, qui alors tourmentait les gens impressionnables et les faisait marcher à tâtons en plein midi, de sorte que les rues semblaient parfois remplies d’aveugles. Et