Page:Renard - Bucoliques, 1905.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
156
BUCOLIQUES

D’ailleurs, si ce temps dure, elles pourriront toutes sur pied.

— Vous les donnerez à votre cochon.

— Il les rebutera peut-être. Quelquefois un cochon est plus difficile qu’un homme.

Boussard se lève et ne se plaint pas, tandis que sa femme ne peut jamais dire une parole qui ne soit une plainte. Sur le pont, il lâche encore sa brouette pour regarder la rivière. Elle déborde dans les prés par d’éphémères torrents. Toute la vallée est comme une immense glace en morceaux. Des arbres ont de l’eau jusqu’au cou. Des branches à la dérive se heurtent et s’accrochent. L’une d’elles se dresse brusquement hors des flots comme une main, et retombe. On ne voit que le mur d’un jardin noyé. Qui devinerait qu’à cette place baigne et rouit une récolte de chanvre ?

Il a tant plu que, dans chaque ornière de la route, une petite fille pourrait s’installer un lavoir.

Une moitié de figure glacée, l’autre brû-