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tés, que Dieu avait pour cette couronne une prédilection toute particulière et était toujours occupé à la protéger. Aujourd’hui, nous savons que Dieu protège également tous les royaumes, tous les empires, toutes les républiques ; nous avouons que plusieurs rois de France ont été des hommes méprisables ; nous reconnaissons que le caractère français a ses défauts ; nous admirons hautement une foule de choses venant de l’étranger. Sommes-nous pour cela moins bons Français ? On peut dire, au contraire, que nous sommes meilleurs patriotes, puisque, au lieu de nous aveugler sur nos défauts, nous cherchons à les corriger, et qu’au lieu de dénigrer l’étranger, nous cherchons à imiter ce qu’il a de bon. Nous sommes chrétiens de la même manière. Celui qui parle avec irrévérence de la royauté du moyen âge, de Louis XIV, de la Révolution, de l’Empire, commet un acte de mauvais goût. Celui qui ne parle pas avec douceur du christianisme et de l’Église dont il fait partie se rend coupable d’ingratitude. Mais la reconnaissance filiale ne doit point aller jusqu’à fermer les yeux à la vérité. On ne manque pas de respect envers un gouvernement, en faisant remarquer qu’il n’a pas pu satisfaire les besoins contradictoires qui sont dans l’homme, ni envers une religion, en disant qu’elle n’échappe pas aux formidables objections que la science élève contre toute croyance surnaturelle. Répondant à certaines exigences sociales et non à certaines autres, les gouvernements tombent par les causes mêmes qui les ont fondés et qui ont fait leur force. Répondant aux aspirations du cœur aux dépens des réclamations de la raison, les religions croulent tour à tour, parce qu’aucune force jusqu’ici n’a réussi à étouffer la raison.

Malheur aussi à la raison, le jour où elle étoufferait la religion ! Notre planète, croyez-moi, travaille à quelque œuvre