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On peut donc accorder une place dans l’histoire aux incidents particuliers sans être pour cela un rationaliste de la vieille école, un disciple de Paulus. Paulus était un théologien qui, voulant le moins possible de miracles et n’osant pas traiter les récits bibliques de légendes, les torturait pour les expliquer tous d’une façon, naturelle. Paulus prétendait avec cela maintenir à la Bible toute son autorité et entrer dans la vraie pensée des auteurs sacrés[1]. Moi, je suis un critique profane ; je crois qu’aucun récit surnaturel n’est vrai à la lettre ; je pense que, sur cent récits surnaturels, il y en a quatre-vingts qui sont nés de toutes pièces de l’imagination populaire ; j’admets cependant que, dans certains cas plus rares, la légende vient d’un fait réel transformé par l’imagination. Sur la masse de faits surnaturels racontés par les Évangiles et les Actes, j’essaye pour cinq ou six de montrer comment l’illusion a pu naître. Le théologien, toujours systématique, veut qu’une seule explication s’applique d’un bout à l’autre de la Bible ; le critique croit que toutes les explications doivent être essayées, ou plutôt qu’on doit montrer successivement la possibilité de chacune d’elles. Ce qu’une explication a de répugnant selon notre goût n’est nullement une raison pour la repousser. Le monde est une comédie à la fois infernale et divine, une ronde étrange menée par un chorège de génie, où le bien,

  1. Là était le ridicule de Paulus. S’il se fût contenté de dire que beaucoup de récits de miracles ont pour base des faits naturels mal compris, il aurait eu raison. Mais il tombait dans la puérilité en soutenant que le narrateur sacré n’avait voulu raconter que des choses toutes simples et qu’on rendait service au texte biblique en le débarrassant de ses miracles. Le critique profane peut et doit faire ces sortes d’hypothèses, dites « rationalistes » ; le théologien n’en a pas le droit ; car la condition préalable de telles hypothèses est de supposer que le texte n’est pas révélé.