Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/171

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rien désabusé qui a écrit l’Ecclésiaste pense si peu à l’avenir, qu’il trouve même inutile de travailler pour ses enfants ; aux yeux de ce célibataire égoïste, le dernier mot de la sagesse est de placer son bien à fonds perdu[1]. Mais les grandes choses dans un peuple se font d’ordinaire par la minorité. Avec ses énormes défauts, dur, égoïste, moqueur, cruel, étroit, subtil, sophiste, le peuple juif est cependant l’auteur du plus beau mouvement d’enthousiasme désintéressé dont parle l’histoire. L’opposition fait toujours la gloire d’un pays. Les plus grands hommes d’une nation sont souvent ceux qu’elle met à mort. Socrate a illustré Athènes, qui n’a pas jugé pouvoir vivre avec lui. Spinoza est le plus grand des juifs modernes, et la synagogue l’a exclu avec ignominie. Jésus a été l’honneur du peuple d’Israël, qui l’a crucifié.

Un gigantesque rêve poursuivait depuis des siècles le peuple juif, et le rajeunissait sans cesse dans sa décrépitude. Étrangère à la théorie des récompenses individuelles, que la Grèce a répandue sous le nom d’immortalité de l’âme, la Judée avait concentré sur son avenir national toute sa puissance d’amour et de

  1. Eccl., i, 11 ; ii, 16, 18-24 ; iii, 19-22 ; iv, 8, 15-16 ; v, 17-18 ; vi, 3, 6 ; viii, 15 ; ix, 9, 10.