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l’été et l’automne occupent ici un intervalle de cinq mois ; l’hiver prend tout le reste. Nous passerons celui qui commence, dans cette solitude dont rien en France ne peut donner une idée. C’est une fort belle demeure, entourée d’immenses forêts et où l’on vit entièrement séparé du reste de l’univers. Ceci me serait bien égal si les correspondances n’y étaient si lentes et si difficiles : ce ne sont point les nouvelles de ce pays que je regrette, ce sont celles de ma famille chérie et si éloignée ! Il est des lettres qui m’arrivent assez promptement, mais d’autres ne me parviennent qu’ouvertes, retardées…

Tu vois, mon cher Ernest, que mes goûts laborieux et sédentaires sont ici un bienfait. Qu’irais-je d’ailleurs chercher au dehors ? Le paysan polonais est l’être le plus pauvre, le plus abruti que l’on puisse se représenter ; les deux tiers de la population des villes sont formés de juifs, malpropres et dégoûtantes créatures qui vivent dans un état d’abjection inimaginable. Nulle part, on ne pousse plus loin que dans ce pays l’esprit de fanatisme et de haine religieuse ; nulle part, on ne couvrit