Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lection d’œuvres compotes. Il n’y a pas un dialogue de Platon qui ne soit une philosophie, une variation sur un thème toujours identique. Qui dit voltairien exprime une nuance aussi tranchée et aussi facile à saisir que cartésien ; et pourtant Descartes a un système, et Voltaire n’en a pas. Descartes peut se réduire en propositions, Voltaire ne le peut pas. Mais Voltaire a un esprit, une façon de prendre les choses, qui résulte de tout un ensemble d’habitudes intellectuelles. Parcourez son œuvre, et dites si cet homme n’a pas pris siège d’une manière bien fixe et bien arrêtée, pour dessiner à sa guise le grand paysage, s’il n’avait pas un système de vie, une façon à lui de voir les choses.

Quand donc cesserons-nous d’être de lourds scolastiques. et d’exiger sur Dieu, sur l’âme, sur la morale des petits bouts de phrases à la façon de la géométrie ? Je suppose ces phrases aussi exactes que possible, elles seraient fausses, radicalement fausses, par leur absurde tentative de définir, de limiter l’infini. Ah ! lisez-moi un dialogue de Platon, une méditation de Lamartine, une page de Herder, une scène de Faust. Voilà une philosophie, c’est-à-dire une façon de prendre la vie et les choses. Quant aux propositions particulières, chacun les arrange à sa guise, et c’est le moins essentiel. Cela démonte fort les petits esprits, qui n’aiment que des formules de deux ou trois lignes, afin de les apprendre par cœur. Puis, quand ils voient que chaque philosophe a les siennes, que tout cela ne coïncide pas, ils entrent dans une grand affliction d’esprit, et dans de merveilleuses impatiences : C’est la tour de Babel, disent-ils ; chacun y parle sa langue ; adressons-nous a des gens