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point de l’échelle humaine auquel correspond cette religion. De même le supernaturaliste orthodoxe est inabordable. Aucun argument logique ou métaphysique ne vaut contre lui. Mais si l’on s’élève à un degré supérieur du développement de l’esprit humain, le supernaturalisme apparaît comme une conception dépassée. Le seul moyen de guérir de cette étrange maladie qui, à la honte de la civilisation, n’a pas encore disparu de l’humanité, c’est la culture moderne. Mettez l’esprit au niveau de la science, nourrissez-le dans la méthode rationnelle, et, sans lutte, sans argumentation, tomberont ces superstitions surannées. Depuis qu’il y a de l’être, tout ce qui s’est passé dans le monde des phénomènes a été le développement régulier des lois de l’être, lois qui ne constituent qu’un seul ordre de gouvernement, qui est la nature. Qui dit au-dessus ou en dehors de la nature dans l’ordre des faits dit une contradiction, comme qui dirait surdivin, dans l’ordre des substances. Vain effort pour monter au-dessus du suprême ! Tous les faits ont pour théâtre l’espace ou l’esprit. La nature, c’est la raison, c’est l’immuable, c’est l’exclusion du caprice. L’œuvre moderne ne sera accomplie que quand la croyance au surnaturel, sous quelque forme que ce soit, sera détruite comme l’est déjà la croyance à la magie, à la sorcellerie. Tout cela est du même ordre. Ceux qui combattent aujourd’hui les supernaturalistes, seront, aux yeux de l’avenir, ce que sont à nos yeux ceux qui ont combattu la croyance à la magie, au xvie et au xviie siècle. Certes, ces derniers ont rendu à l’esprit humain un éminent service ; mais leur victoire même les a fait oublier. C’est le sort de tous ceux qui combattent les préjugés d’être oubliés, sitôt que le préjugé n’est plus.