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Platon, qui, élevé un instant contre son rival, prêché comme l’Évangile, retrouve sa dignité en retombant du rang de prophète à celui d’homme ; puis c’est l’antiquité tout entière qui reprend son sens véritable et sa valeur d’abord mal comprise dans l’histoire de l’esprit humain ; puis c’est Homère, l’idole de la philologie antique, qui, un beau jour, a disparu de dessus son piédestal de trois mille ans et est allé noyer sa personnalité dans l’océan sans fond de l’humanité ; puis c’est toute l’histoire primitive, acceptée jusque-là avec une grossière littéralité, qui trouve d’ingénieux interprètes, hiérophantes rationalistes, qui lèvent le voile des vieux mystères. Puis ce sont ces écrits tenus pour sacrés qui deviennent aux yeux d’une ingénieuse et fine exégèse la plus curieuse littérature. Admirable déchiffrement d’un superstitieux hiéroglyphisme, marche courageuse de la lettre à l’esprit, voilà l’œuvre de la critique moderne !

L’esprit moderne, c’est l’intelligence réfléchie. La croyance à une révélation, à un ordre surnaturel, c’est la négation de la critique, c’est un reste de la vieille conception anthropomorphique du monde, formée à une époque où l’homme n’était pas encore arrivé l’idée claire des lois de la nature. Il faut dire du surnaturel ce que Schleiermacher disait des anges « On ne peut en prouver l’impossibilité cependant, toute cette conception est telle qu’elle ne pourrait plus naître de notre temps ; elle appartient exclusivement à l’idée que l’antiquité se faisait du monde » (18). La croyance au miracle est, en effet, la conséquence d’un état intellectuel où le monde est considéré comme gouverné par la fantaisie et non par des lois immuables. Sans doute, ce n’est pas ainsi que l’envisagent les supernaturalistes modernes,