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au véritable esprit scientifique. Dieu me garde de prétendre qu’il n’y ait eu parmi les plus sincères croyants des hommes qui ont rendu à la science d’éminents services et pour ne parler que des contemporains, c’est parmi les catholiques sincères que je trouverais peut-être le plus d’hommes sympathiques à mon esprit et à mon cœur. Mais, s’il m’était permis de m’entendre de bien près avec eux, nous verrions jusqu’à quel point leur ardeur scientifique n’est pas une noble inconséquence. Qu’on me permette un exemple. Silvestre de Sacy est à mes yeux le type du savant orthodoxe. Certes il est impossible de demander une science de meilleur aloi, si on ne recherche que l’exactitude et la critique de détail. Mais si on s’élève plus haut, quel étrange spectacle qu’un homme qui, en possession d’une des plus vastes éruditions des temps modernes, n’est jamais arrivé à une pensée de haute critique ! Quand je travaille sur les œuvres de cet homme infiniment respectable, je suis toujours tenté de lui demander : À quoi bon ? À quoi bon savoir l’hébreu, l’arabe, le samaritain, le syriaque, le chaldéen, l’éthiopien, le persan, à quoi bon être le premier homme de l’Europe pour la connaissance des littératures de l’Orient, si on n’est point arrivé à l’idée de l’humanité, si tout cela n’est conçu dans un but religieux et supérieur ? La science vraiment élevée n’a commencé que le jour où la raison s’est prise au sérieux, et s’est dit à elle-même : Tout me fait défaut ; de moi seule viendra mon salut. C’est alors qu’on se met résolument à l’œuvre ; c’est alors que tout reprend son prix en vue du résultat final. Il ne s’agit plus de jouer avec la science, d’en faire un thème d’insipides et innocents paradoxes (16) ; il s’agit de la grande affaire de l’homme et de l’humanité : de là un sérieux, une attention,