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III


Tenez, si vous voulez, ce qui précède pour absurde et pour chimérique ; mais, au nom du ciel, accordez-moi que la science seule peut fournir à l’homme les vérités vitales, sans lesquelles la vie ne serait pas supportable, ni la société possible. Si l’on supposait que ces vérités pussent venir d’ailleurs que de l’étude patiente des choses, la science élevée n’aurait plus aucun sens ; il y aurait érudition, curiosité d’amateur, mais non science dans le noble sens du mot, et les âmes distinguées se garderaient de s’engager dans ces recherches sans horizon ni avenir. Ainsi ceux qui pensent que la spéculation métaphysique, la raison pure, peut sans l’étude pragmatique de ce qui est donner les hautes vérités, doivent nécessairement mépriser ce qui n’est à leurs yeux qu’un bagage inutile, une surcharge embarrassante pour l’esprit. Malebranche n’a pas été trop sévère pour ces savants « qui font de leur tête un garde-meuble, dans lequel ils entassent, sans discernement et sans ordre, tout ce qui porte un certain caractère d’érudition, et qui se font gloire de ressembler à ces cabinets de curiosités et d’antiques, qui n’ont rien de riche, ni de solide, et dont le prix ne dépend que de la fantaisie, de la passion et du hasard ». Ceux qui pensent que le vulgaire bon sens, le sens commun, est un maître suffisant pour l’homme, doivent envisager le savant à peu près comme Socrate envisageait les sophistes, comme de subtils et inutiles disputeurs. Ceux qui