Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ce que les conservateurs de 1849 opposent aux socialistes : Vous tentez ce qui n’a pas d’exemple, vous vous en prenez à l’œuvre des siècles, vous ne tenez pas compte de l’histoire et de la nature humaine. Les faciles déclamations de la bourgeoisie contre la noblesse héréditaire peuvent se rétorquer avec avantage contre la ploutocratie. Il est clair que la noblesse n’est pas rationnelle, qu’elle est le résultat de l’établissement aveugle de l’humanité. Mais en raisonnant sur ce pied-là, où s’arrêter ? J’avoue que, tout bien pesé, la tentative des réformateurs politiques de 89 me semble plus hardie, quant à son objet, et surtout plus inouïe que celle des réformateurs sociaux de nos jours. Je ne comprends donc pas comment ceux qui admettent 89 peuvent rejeter en droit la réforme sociale. (Quant aux moyens, je comprends, je le répète, la plus radicale diversité.) On ne fait aucune difficulté générale aux socialistes qu’on ne puisse rétorquer contre les constituants. Il est téméraire de poser des bornes au pouvoir réformateur de la raison, et de rejeter quelque tentative que ce soit, parce qu’elle est sans antécédent. Toutes les réformes ont eu ce défaut à leur origine, et d’ailleurs ceux qui leur adressent un tel reproche le font presque toujours parce qu’ils n’ont pas une idée assez étendue des formes diverses de la société humaine et de son histoire.

En Orient, des milliers d’hommes meurent de faim ou de misère sans avoir jamais songé à se révolter contre le pouvoir établi. Dans l’Europe moderne, un homme, plutôt que de mourir de faim, trouve plus simple de prendre un fusil et d’attaquer la société, guidé par cette vue profonde et instinctive que la société a envers lui des devoirs qu’elle n’a pas remplis. On trouve à chaque page, dans la