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(128 bis) Les Arabes, à s’en tenir aux mots reçus, ont offert un développement philosophique et scientifique ; mais leur science est tout entière empruntée à la Grèce. Il faut d’ailleurs observer que la science gréco-arabe n’a nullement fleuri en Arabie ; elle a fleuri dans les pays non sémitiques soumis à l’islamisme et ayant adopté l’arabe comme langue savante, en Perse, dans les provinces de l’Oxus, dans le Maroc, en Espagne. La presqu’île est toujours restée pure d’hellénisme, et n’a jamais compris que le Coran et les vieilles poésies.

(129) La vraie mythologie des modernes serait le christianisme, dont les monuments sont encore vivants parmi nous. Mais le siècle de Louis XIV, qui prenait dogmatiquement cette mythologie comme une théologie, n’en pouvait faire une machine poétique. Boileau a raison : donner l'air de la fable à de saintes vérités, c’est un péché. Un jour que je visitai M. Michelet, il me fit admirer autour de son salon les plus beaux sujets chrétiens des grands maîtres, le Saint-Paul d’Albert Dürer, les Prophètes et les Sybilles de Michel-Ange, la Dispute du Saint-Sacrement, etc., et il se prit à me les commenter. Je suis sûr que Racine, qui croyait, lui, avait dans son salon, des images païennes. S’il avait eu des gravures chrétiennes, il les eût traitées comme des images de dévotion. Syracuse ne voyait nulle bigoterie à faire figurer sur ses médailles la belle tête d’Aréthuse, ni Athènes celle de Minerve. Pourquoi donc crierait-on à l’envahissement si nous mettions sur nos monnaies Saint Martin ou saint Remi ? On n’a pu commencer à voir dans le christianisme une Poétique que quand on a cessé d’y voir une Théologie, et je me suis souvent demandé si Chateaubriand a voulu faire autre chose qu’une révolution littéraire.

(130) Les prescriptions mosaïques, par exemple, sur l’abstinence d’animaux tués d’une certaine façon, si respectables quand on les envisage comme moyen d’éducation de l’humanité, et qui avaient toutes une raison très morale et très politique chez une ancienne tribu de l’Orient, que deviennent-elles transportées dans nos États modernes ? De simples incommodités, qui obligent certains religionnaires à avoir des bouchers particuliers, se pourvoyant de bêtes d’après certaines règles ; pure affaire d’abattoir et de cuisine.

(131) Les auteurs latins de la décadence, les tragédies de Sénèque, par exemple, ont souvent meilleur air, quand elles sont traduites en français, que les chefs-d’oeuvre de la grande époque.

(132) Comme type de cette sotte admiration, voyez la Préface de la traduction des Psaumes de La Harpe. M. de Maistre a dit très naïvement : « Pour sentir les beautés de la Vulgate, faites choix d’un ami qui ne soit pas hébraïsant, et vous verrez comment une syllabe, un