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des hommes qui crurent à la vérité, et se passionnèrent à sa recherche, au milieu d’un siècle frivole, parce qu’il était sans foi, et superstitieux parce qu’il était frivole.

J’ai été formé par l’Église, je lui dois ce que je suis, et ne l’oublierai jamais. L’Église m’a séparé du profane, et je l’en remercie. Celui que Dieu a touché sera toujours un être à part : il est, quoi qu’il fasse, déplacé parmi les hommes, on le remarque à un signe. Pour lui les jeunes gens n’ont pas d’offres joyeuses, et les jeunes filles n’ont point de sourire. Depuis qu’il a vu Dieu, sa langue est embarrassée ; il ne sait plus parler des choses terrestres. O Dieu de ma jeunesse, j’ai longtemps espéré revenir à toi enseignes déployées et avec la fierté de la raison, et peut-être te reviendrai-je humble et vaincu comme une faible femme. Autrefois tu m’écoutais ; j’espérais voir quelque jour ton visage ; car je t’entendais répondre à ma voix. Et j’ai vu ton temple s’écrouler pierre à pierre, et le sanctuaire n’a plus d’écho, et, au lieu d’un autel paré de lumières et de fleurs, j’ai vu se dresser devant moi un autel d’airain, contre lequel va se briser la prière, sévère, nu, sans images, sans tabernacle, ensanglanté par la fatalité. Est-ce ma faute ? est-ce la tienne ? Ah ! que je frapperais volontiers ma poitrine, si j’espérais entendre cette voix chérie qui autrefois me faisait tressaillir. Mais non, il n’y a que l’inflexible nature quand je cherche ton œil de père, je ne trouve que l’orbite vide et sans fond de l’infini, quand je cherche ton front céleste, je vais me heurter contre la voûte d’airain, qui me renvoie froidement mon amour. Adieu donc, ô Dieu de ma jeunesse Peut-être seras-tu celui de mon lit de mort. Adieu quoique tu m’aies trompé, je t’aime encore !