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à quelques vues de théologie naturelle, voilà pour les Anglais qui pensent le but souverain de la science. Jamais une idée de haute et inquiète spéculation, jamais un regard profond jeté sur ce qui est. Cela tient sans doute à ce que, chez nos voisins, la religion positive, mise sous un séquestre conservateur, et tenue pour inattaquable, est considérée comme donnant encore le mot des grandes choses (3). La science, en effet, ne valant qu’en tant qu’elle peut remplacer la religion, que devient-elle dans un pareil système ? Un petit procédé pour se former le bon sens, une façon de se bien poser dans la vie et d’acquérir d’utiles et curieuses connaissances. Misères que tout cela ! Pour moi, je ne connais qu’un seul résultat à la science, c’est de résoudre l’énigme, c’est de dire définitivement à l’homme le mot des choses, c’est de l’expliquer à lui-même, c’est de lui donner, au nom de la seule autorité légitime qui est la nature humaine tout entière, le symbole que les religions lui donnaient tout fait et qu’il ne peut plus accepter. Vivre sans un système sur les choses, c’est ne pas vivre une vie d’homme. Je comprends certes le scepticisme, c’est un système comme un autre ; il a sa grandeur et sa noblesse. Je comprends la foi, je l’envie et la regrette peut-être. Mais ce qui me semble un monstre dans l’humanité, c’est l’indifférence et la légèreté. Spirituel tant qu’on voudra, celui qui en face de l’infini ne se voit pas entouré de mystères et de problèmes, celui-là n’est à mes yeux qu’un hébété.

C’est énoncer une vérité désormais banale que de dire que ce sont les idées qui mènent le monde. C’est d’ailleurs dire plutôt ce qui devrait être et ce qui sera, que ce qui a été. Il est incontestable qu’il faut faire dans l’histoire une large part à la force, au caprice, et même à ce qu’on