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douter. Quand l’esprit, longtemps bercé dans cette foi naïve, commence à découvrir qu’il a pu être le jouet de sa croyance, il entre en suspicion, et s’imagine que le plus sûr moyen pour ne pas être trompé, c’est de rejeter toute chose : premier scepticisme qui a aussi sa naïveté (sophistes, Montaigne, etc.). Un savoir plus étendu, prenant la nature humaine par son milieu, sans s’inquiéter des problèmes radicaux, essaie ensuite de fonder sur le bon sens un dogmatisme raisonnable, mais sans profondeur (Socrate, Th. Reid). — Plus de vigueur d’esprit montre bientôt le peu de fondement de cette nouvelle tentative ; on s’attaque à l’instrument même : de là un grand, terrible, sublime scepticisme (Kant, Jouffroy, Pascal). Enfin, la vue complète de l’esprit humain, la considération de l’humanité aspirant au vrai et s’enrichissant indéfiniment par l’élimination de l’erreur, amène le dogmatisme critique, qui ne redoute plus le scepticisme, car il l’a traversé, il sait ce qu’il vaut, et, bien différent du dogmatisme des premiers âges, qui n’avait pas entrevu les motifs du doute, il est assez fort pour vivre face à face avec son ennemi. Comme tous les enfants du siècle, j’ai eu mes accès de scepticisme autant que Sténio j’ai aimé Lélia ; mais par la critique j’ai touché la terre, et, lors même que telle croyance ne paraît pas aussi scientifique qu’on pourrait le désirer, je dis encore sans hésiter il y a là du vrai, bien que je ne possède pas la formule pour l’extraire. Aux yeux des scolastiques, Gœthe est un sceptique mais celui qui se passionne pour toutes les fleurs qu’il trouve sur son chemin et les prend pour vraies et bonnes à leur manière, ne saurait être confondu avec celui qui passe dédaigneux sans se pencher vers elles. Gœthe em-