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même un grand ou brillant esprit. Nous craignons tant de nous laisser jouer que nous suspectons partout des attrapes, et nous sommes portés à croire que, si nos pères avaient été plus fins, ils n’eussent pas été si sérieux ni si honnêtes. Et pourtant, si la morale n’était qu’une illusion, oh qu’il serait beau de s’être laissé duper par elle ! Domine, si error est, a te decepti sumus. O toi qui t’es joué de ma simplicité, je te remercie encore de m’avoir volé la vertu.

Nous rejetons également le scepticisme frivole et le dogmatisme scolastique : nous sommes dogmatiques critiques. Nous croyons à la vérité, bien que nous ne prétendions pas posséder la vérité absolue. Nous ne voulons pas enfermer à jamais l’humanité dans nos formules ; mais nous sommes religieux, en ce sens que nous nous attachons fermement à la croyance du présent et que nous sommes prêts à souffrir pour elle en vue de l’avenir. L’enthousiasme et la critique sont loin de s’exclure. Nous ne nous imposons pas à l’avenir, pas plus que nous n’acceptons sans contrôle l’héritage du passé. Nous aspirons à cette haute impartialité philosophique, qui ne s’attache exclusivement à aucun parti, non parce qu’elle leur est indifférente, mais parce qu’elle voit dans chacun d’eux une part de vérité à côté d’une part d’erreur ; qui n’a pour personne ni exclusion, ni haine, parce qu’elle voit la nécessité de tous ces groupements divers et le droit qu’a chacun d’eux, en vertu de la vérité qu’il possède de faire son apparition dans le monde. L’erreur n’est pas sympathique à l’homme ; une erreur dangereuse est une contradiction comme une vérité dangereuse. Le raisonnement de Gamaliel (181) est invincible. Si une doctrine est vraie, il ne faut pas la craindre ; si elle est fausse, encore