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durant plus de deux siècles, a aiguisé et tenu en éveil tous {{ les esprits de l’Europe civilisée ; je regrette le temps où Lesdiguières et Turenne étaient controversistes, où un livre de Claude ou Jurieu était un événement, où Coton et Turretin, en champ clos, tenaient l’Europe attentive. Les guerres de religion sont après tout les plus raisonnables, et il n’y en aura plus désormais que de telles.

Il faut être juste jamais on n'a vécu plus à l’aise que de 1830 à 1848, et nous attendrons longtemps peut-être un régime qui puisse permettre une aussi honnête part de liberté. Peut-on dire cependant que, pendant cette période, l’humanité se soit enrichie de beaucoup d’idées nouvelles, que la moralité, l’intelligence, la vraie religion aient fait de sensibles progrès ? De même que la vie monastique, où tout est prévu et réglé dans ses moindres détails d’une manière invariable, détruit le pittoresque de la vie et efface toute originalité, de même une civilisation régulière, en traçant à l’existence un trop étroit chemin, et en imposant à la liberté individuelle de continuelles entraves, nuit plus à la spontanéité que le régime de l’arbitraire (172). « Cette liberté formaliste, a dit M. Villemain, fait naître plus de tracasseries que de grandes luttes, plus d’intrigues que de grandes passions ». L’esprit humain a infiniment plus travaillé sous les années de compression de la Restauration que sous les années de liberté raisonnable qui ont suivi 1830. La poésie devint égoïste et n’eut plus de valeur que comme accompagnement délicat du plaisir, l’originalité fut déplacée. On l’admira et on la rechercha curieusement dans le passé ; on la honnit dans le présent. On se passionna pour les figures caractérisées que présente l’histoire, et on fut impitoyable pour ceux des contemporains que l’avenir envi-