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vers ne créa qu’aux périodes primitives et sous le règne du chaos. Les monstres ne sauraient naître sous le paisible régime d’équilibre qui a succédé aux tempêtes des premiers âges.

Ce n’est donc ni le bien-être ni même la liberté qui contribuent beaucoup à l’originalité et l’énergie du développement intellectuel ; c’est le milieu des grandes choses, c’est l’activité universelle, c’est le spectacle des révolutions, c’est la passion développée par le combat. Le travail de l’esprit ne serait sérieusement menacé que le jour où l’humanité serait trop à l’aise. Grâce à Dieu, nous n’avons pas à craindre que ce jour soit près de nous.

Un journal sommait, il y a quelques mois, l’Assemblée nationale de proclamer le droit au repos ; ingénieuse métaphore dont le sens n’échappait à personne. Certes, s’il ne fallait voir dans la vie que repos et plaisir, on devrait maudire l’agitation de la pensée, et traiter de pervers ceux qui viennent, pour satisfaire leur inquiétude, troubler ce doux sommeil. Les révolutions ne peuvent être que d’odieuses et absurdes perturbations aux yeux de ceux qui ne croient point au progrès. Sans l’idée du progrès on ne saurait rien comprendre aux mouvements de l’humanité. Si la vie humaine n’avait d’autre horizon que, de végéter d’une façon ou d’une autre ; si la société n’était qu’une agrégation d’êtres vivant chacun pour soi et subissant invariablement les mêmes vicissitudes ; s’il ne s’agissait que de naître, de vivre et de mourir d’une manière plus ou moins semblable, le seul parti à prendre serait d’endormir l’humanité et de subir patiemment cette vulgaire monotonie. Il y en a qui se félicitent que le temps des controverses religieuses soit passé. Pour moi, je les regrette. Je regrette cette bienheureuse controverse protestante qui,