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qu’il y a chez le peuple une sève vraie et supérieure en un sens à celle de la plupart des poètes aristocratiques. Les poésies des ouvriers sont peut-être les plus originales depuis que Lamartine et Victor Hugo ne chantent plus. Cela est surtout méritoire, si l’on considère que l’instrument que nous leur mettons entre les mains est tout ce qu’il y a au monde de plus aristocratique, de plus inflexible, de moins analogue à la pensée populaire.

Quant aux écrits sociaux et philosophiques, où la forme est moins exigeante qu’en littérature, les ouvriers y déploient souvent une intelligence supérieure à celle de la plupart des lettrés. L’homme qui n’a que l’instruction primaire est plus près du positivisme, de la négation du surnaturel, que le bourgeois qui a fait ses classes ; car l’éducation classique porte souvent à se contenter des mots. Mais les ouvriers commettent souvent une faute vraiment impardonnable c’est d’abandonner le genre où ils pourraient exceller pour traiter des sujets où ils ne sont pas compétents et qui exigent une toute autre culture que celle des petits livres d’école. M. Agricol Perdiguier était original tant qu’il ne fut qu’ouvrier. On aimait en lui l’expression vraie de la façon de sentir d’une classe de la société, et le naïf effort du demi-lettré pour créer un instrument à sa pensée. Mais un beau jour, M. Agricol Perdiguier s’est mis à vouloir faire une histoire universelle. Une histoire universelle ; grand Dieu mais Bossuet y a échoué, et je ne connais pas un seul homme capable de l’entreprendre. M. Perdiguier a beau nous dire que son histoire est pour les ouvriers que tous ses devanciers ont traité l’histoire en hommes classiques, en pédants de collège ; je ne sache pas qu’il y ait deux histoires, une pour les lettrés, une pour les illettrés ; et je ne connais