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XIX


On se figure volontiers que la civilisation moderne doit avoir un destin analogue à la civilisation ancienne, et subir comme elle une invasion de barbares. On oublie que l’humanité ne se répète jamais et n’emploie pas deux fois le même procédé. Tout porte à croire, au contraire, que ce fait d’une civilisation étouffée par la barbarie sera unique dans l’histoire, et que la civilisation moderne est destinée à se propager indéfiniment. Il en eût été ainsi vraisemblablement de la civilisation gréco-romaine, sans le grand cataclysme qui l’emporte. Le ive et le ve siècle ne sont si maigres et si superstitieux dans le monde latin qu’à cause des calamités des temps. Si les barbares n’étaient pas venus, il est probable que le ve ou le vie siècle nous eût présenté une grande civilisation, analogue à celle de Louis XIV, un christianisme grave et sévère, tempéré de philosophie.

Certaines personnes se plaisent à relever les traits qui, dans notre littérature et notre philosophie, rappellent la décadence grecque et romaine, et en tirent cette conclusion, que l’esprit moderne, après avoir eu (disent-elles) son époque brillante au xviie siècle, déchoit et va s’éteignant peu à peu. Nos poètes leur rappellent Stace et Silius Italicus ; nos philosophes, Porphyre et Proclus ; l’éclectisme, des deux côtés, clot la série. Nos éditeurs, compilateurs, abréviateurs, philologues, critiques répondraient aux rhéteurs, grammairiens, scoliastes d’Alexandrie, de Rhodes,