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haute harmonie des puissances de la nature humaine n’est pas une chimère. La vie des hommes de génie présente presque toujours le ravissant spectacle d’une vaste capacité intellectuelle jointe à un sens poétique très élevé et à une charmante bonté d’âme, si bien que leur vie, dans sa calme et suave placidité, est presque toujours leur plus bel ouvrage et forme une partie essentielle de leurs œuvres complètes. À vrai dire, ces mots de poésie, de philosophie, d’art, de science, désignent moins des objets divers proposés à l’activité intellectuelle de l’homme, que des manières différentes d’envisager le même objet, qui est l’être dans toutes ses manifestations. C’est pour cela que le grand philosophe n’est pas sans être poète ; le grand artiste est souvent plus philosophe que ceux qui portent ce nom. Ce ne sont là que des formes différentes, qui, comme celles de la littérature, sont aptes à exprimer toute chose. Béranger a pu tout dire sous forme de chansons, tel autre sous forme de romans, tel autre sous forme d’histoire. Tous les génies sont universels quant à l’objet de leurs travaux, et, autant les petits esprits sont insoutenables quand ils veulent établir la prééminence exclusive de leur art, autant les grands hommes ont raison quand ils soutiennent que leur art est le tout de l’homme, puisqu’il leur sert en effet à exprimer la chose indivise par excellence, l’âme, Dieu.

Il faut pourtant reconnaître que le secret pour allier ces éléments divers n’est pas encore trouvé. Dans l’état actuel de l’esprit humain, une trop riche nature est un supplice. L’homme né avec une faculté éminente qui absorbe toutes les autres est bien plus heureux que celui qui trouve en lui des besoins toujours nouveaux, qu’il ne peut satisfaire. Il lui faudrait une vie pour savoir, une