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à une tendance parfaitement légitime de l’esprit moderne, et en ce sens il en est bien le développement naturel. Il faut être aveugle pour ne pas voir que l’œuvre commencée il y a quatre cents ans dans l’ordre littéraire, scientifique, politique, c’est l’exaltation successive de toute la race humaine, la réalisation de ce cri intime de notre nature : Plus de lumière ! Plus de lumière !

A l’état où en sont venues les choses, le problème est posé dans des termes excessivement diffciles. Car, d’une part il faut conserver les conquêtes de la civilisation déjà faites ; d’autre part, il faut que tous aient part aux bienfaits de cette civilisation. Or cela semble contradictoire ; car il semble, au premier coup d’œil, que l’abjection de quelques uns et même de la plupart soit une condition nécessaire de la société telle que l’ont faite les temps modernes, et spécialement le xviiie siècle.

Je n’hésite pas à dire que jamais, depuis l’origine des choses, l’esprit humain ne s’est posé un si terrible problème. Celui de l’esclavage dans l’antiquité l’était beaucoup moins, et il a fallu des siècles pour arriver à concevoir la possibilité d’une société sans esclaves.

A mesure que l’humanité avance dans sa marche, le problème de sa destinée devient plus compliqué car il faut combiner plus de données, balancer plus de motifs, concilier plus d’antinomies. L’humanité va ainsi, d’une main serrant dans les plis de sa robe les conquêtes du passé, de l’autre tenant l’épée pour des conquêtes nouvelles. Autrefois, la question était bien simple : l’opinion la plus avancée, par cela seul qu’elle était la plus avancée, pouvait être jugée la meilleure. Il n’en est plus de la sorte. Sans doute il faut toujours prendre le plus court chemin, et je n’approuve nullement ceux qui soutiennent qu’il