Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.

besoin d’une signification religieuse était plus sensible, comme la naissance, le mariage, la mort, on a conservé les anciennes cérémonies, lors même qu’on ne croit plus à leur efficacité. Un progrès ultérieur conciliera, ce me semble, ces deux tendances, en substituant à des actes sacramentels, qui ne peuvent valoir que par leur signification, et qui, envisagés dans leur exécution matérielle sont complètement inefficaces, le sentiment moral dans toute sa pureté.

Ainsi, tout ce qui se rattache à la vie supérieure de l’homme, à cette vie par laquelle il se distingue de l’animal, tout cela est sacré, tout cela est digne de la passion des belles âmes. Un beau sentiment vaut une belle pensée ; une belle pensée vaut une belle action. Un système de philosophie vaut un poème, un poème vaut une découverte scientifique, une vie de science vaut une vie de vertu. L’homme parfait serait celui qui serait à la fois poète, philosophe, savant, homme vertueux, et cela non par intervalles et des moments distincts (il ne le serait alors que médiocrement), mais par une intime compénétration à tous les moments de sa vie, qui serait poète alors qu’il est philosophe, philosophe alors qu’il est savant, chez qui, en un mot, tous les éléments de l’humanité se réuniraient en une harmonie supérieure, comme dans l’humanité elle-même. La faiblesse de notre âge d’analyse ne permet pas cette haute unité ; la vie devient un métier, une profession ; il faut afficher le titre de poète, d’artiste ou de savant, se créer un petit monde où l’on vit à part, sans comprendre tout le reste et souvent en le niant. Que ce soit là une nécessité de l’état actuel de l’esprit humain, nul ne peut songer à le nier : il faut toutefois reconnaître qu’un tel système de vie, bien qu’excusé par sa nécessité,